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Histoire littéraire Bazlen, l’échelle des valeurs

juillet 2018 | Le Matricule des Anges n°195 | par Richard Blin

Lecteur implacable, écrivain désœuvré, cette figure mythique de l’édition italienne distille, au fil de ses lettres, une réjouissante leçon d’écriture.

Lettres éditoriales

Né à Trieste, Roberto Bazlen (1902-1965) a grandi dans l’atmosphère austro-hon- groise de cette ville. Grand connaisseur de la littérature de la Mitteleuropa, il a été conseiller éditorial pour les éditions Bompiani et Einaudi, a cofondé Adelphi avec Luciano Foà, et pendant des années leur a envoyé, sous forme de lettres, ses comptes rendus de lecture. De lui, Roberto Calasso dit que sa présence «  forçait les autres à penser ». Un homme qui refusa d’entrer en littérature comme auteur pour n’être que cet « ami de l’écriture » qui fascine Enrique Vila-Matas et Jean-Yves Jouannais et a inspiré Daniele del Giudice qui en a fait le héros de son Stade de Wimbledon (Seuil, 1983). D’où tout l’intérêt de ces Lettres éditoriales.
S’exprimant dans une langue farcie de mots étrangers (allemands, anglais, français), Roberto Bazlen a l’art de créer une perspective à partir de laquelle juger. Celle, par exemple, des écrivains de « romans romans » d’avant l’ère des « déconstructeurs ». Ou celle des grandes expérimentations de narration non-conformiste qui ont suivi la Première Guerre mondiale, « des œuvres presque toutes basées sur la prédominance d’une seule fonction utilisée jusqu’aux limites, et au-delà (Joyce, l’association sonore, Musil, la précision de la pensée) ». Ou celle encore de ceux qu’on lit « comme si nous étions séparés de nos rêves par une peau d’œuf transparente » (F. Sologub). Gombrowicz, lui, est « de la race de Jarry », « un des alliés les plus honnêtes qu’on puisse trouver dans la véritable révolution contre le amour, le art, les principes immortels et toutes les sottises que tu sais. » C’est qu’il y a « une grande quantité de mauvaise littérature (et même plus que mauvaise : insipide et conventionnelle) », que ce soit dans la manière de raconter ou dans « l’existence » des personnages. Ceux-ci, il les aime « organiques, insérés dans une vie organique ». Et puis il y a les œuvres « aussi pâteuses qu’une bouillie de polenta », les livres sains mais « d’une santé non idiote (chose très rare) ». Quant à la littérature narrative anglo-américaine, Bazlen n’aime que les livres de « cette troisième Amérique que l’on connaît peu ici », celle qui n’est ni « la démocratico-puritano-gymnastique » ni celle des « légèretés criminalo-sexualo-décadentes ».
Et quand il déteste, il le dit, qu’il s’agisse du théâtre de Lorca, « cette balourdise et ce bovarysme sous la poésie »  ; de Robbe-Grillet : comment peut-on « passer une ou deux années de sa vie dans le seul but de créer une “machine” qui mette le lecteur dans les conditions de revivre quelques journées d’un petit vendeur ambulant criminel qui rumine un alibi ? », ou qu’il s’agisse des Reconnaissances, de William Gaddis, « un faux très habile fait par un faussaire exceptionnellement charogne ». Ce ne sont pas des avis qu’il donne mais d’impitoyables critiques qu’il émet. Bataille est « un aspirant loup qui voudrait sauver les chèvres et les choux, (…), un petit “névrotique” esthétisant et bourré d’autocompassion ». Le début de l’œuvre de Pierre-Jean Jouve – « genevois qui est né et a grandi dans un univers de très hauts idéaux parfumés » – celle qui précéda sa découverte de la guerre et de Freud, il la juge « lavée à la lessive Omo et fourrée de pacifisme ». Thomas Mann, lui, « croyait avoir de l’ambiguïté et n’avait que de l’ambition ».
Lecteur radical, Bazlen n’hésite jamais à rappeler qu’il juge en fonction de ce qu’il est. « J’ai un compte personnel trop ouvert avec le art et le amour et les valeurs éternelles et tout le reste pour pouvoir juger avec impartialité. » En fonction aussi de son « besoin mégalomane de grands thèmes » qui le pousse à vouloir en finir avec « les petits personnages », avec les drames « uniquement descriptifs », qui ont « le microscope pointé seulement sur le cœur de l’infection ». Pour lui, un écrivain « a quelque chose à dire ; ce qu’il a à dire est vécu, lui appartient ; il le dit avec des mots à lui, clairs ; avec une grande densité, constante ». D’où son goût, à une époque ou « presque tout ce qui se publie ne tient debout que sur des pieds vraiment trempés et puants », pour de nouvelles expériences humaines, de nouveaux textes même si le nouveau ne peut faire son chemin que « dans un terrain moins solidifié, moins artériosclérosé que le nôtre ». C’est la non-séparation entre l’œuvre et la vie qui l’intéresse, car elle seule donne ce sentiment de plénitude lié à la sensation d’être à l’intérieur de quelque chose tout en continuant à la posséder de l’extérieur. En somme être un écrivain qui n’écrit pas.

Richard Blin

Lettres éditoriales, de Roberto Bazlen
Traduit de l’italien par Adrien Pasquali, préface R. Calasso, L’Olivier, 160 p., 15

Bazlen, l’échelle des valeurs Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°195 , juillet 2018.
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