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Domaine français Le vaste monde, en plus petit

septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196 | par Yann Fastier

Où, sous la parodie loufoque des grands récits naturalistes, Patrice Pluyette cache un savoureux petit traité de « l’usage du monde »

La Vallée des Dix Mille Fumées

Ce pourrait être un personnage de Sempé, un tout petit bonhomme en proie au vaste monde. Un matin, monsieur Henri se réveille et redécouvre le monde. Le plafond au-dessus de son lit, les quatre murs… et le reste. Il élargit peu à peu le champ de ses explorations, sort de chez lui, fait le tour du jardin, plusieurs fois, puis, enfin, s’aventure à l’extérieur. Tout est nouveau et tout fait sens : monsieur Henri observe, collecte, classe et bâtit des hypothèses. Bientôt rejoint par deux compagnons étonnamment désintéressés et dévoués (« le docteur » et « le nouveau voisin »), il entame alors une véritable expédition, entre mer, volcans et montagne, s’étonnant de tout sans y comprendre grand-chose…
S’il fallait à tout prix classer les romans, comme monsieur Henri ses échantillons, on rangerait assurément La Vallée des dix mille fumées dans la catégorie des romans d’initiation tardive à tendance parodique. Roman d’initiation, à coup sûr, car il s’agit avant tout de se connaître à travers toute une série d’obstacles et d’embûches. Tardive car monsieur Henri a nettement passé l’âge et l’on pourrait même à bon droit le soupçonner d’être un peu gâteux. À tendance parodique, enfin, car si l’on retrouve avec délices tous les topoï du récit d’exploration naturaliste – mettons de Humboldt à Jules Verne – on les retrouve en réduction, sans jamais sortir ou presque du monde connu par le lecteur. Peu importe que la douce manie de monsieur Henri lui fasse régulièrement lâcher la proie pour l’ombre et regarder l’éléphant au microscope : « Tout est en perpétuelle remise en question. Quand on y réfléchit, c’est un peu éprouvant. Alors mieux vaut ne pas y réfléchir et être comme monsieur Henri : en train de croire que tout paraît simple. »
Car, finalement, est-il si dupe que cela, ce monsieur Henri ? Et qu’est-ce qui fait le naturaliste, au fond, sinon la croyance en une nature observable et explicable ? De même que Don Quichotte se contentait de moulins en guise de géants, monsieur Henri se satisfait donc d’un feu d’artifice et d’un orage en guise d’éruption volcanique. C’est moins dangereux, moins fatigant, et tout aussi satisfaisant pour l’esprit. À son âge, la passion peut bien s’exercer à moindres frais, qui n’a en réalité d’autre objet qu’elle-même. Car si « monsieur Henri a plusieurs centres d’intérêt, certains imbriqués dans d’autres (…) il s’en découvre de multiples chaque jour en fonction de ce qu’il vit, trouve, découvre. Passe d’une passion à une autre avec passion ». Monsieur Henri est à l’ouest et c’est de cette pointe extrême qu’il choisit de repartir à zéro. Il est plusieurs façons de le faire. La poésie en est une, la folie peut-être une autre, la science assurément qui, vérifiant chaque chose en ses fondements, ne cesse de recréer un monde qu’elle nomme au fur et à mesure. En associant les trois, monsieur Henri boucle la boucle et peut mourir tranquille, un homme neuf laissant après lui un monde neuf.
Fruit d’une résidence au Muséum national d’histoire naturelle, La Vallée des dix mille fumées n’est pas seulement la preuve que la collectivité sait parfois plutôt bien placer son argent : il confirme également, s’il en était besoin après sa géniale Traversée du Mozambique par temps calme, que le Pluyette est à ranger définitivement sous l’étiquette de cet étonnant taxon de la littérature française qui voit se côtoyer Vialatte, Chevillard et quelques autres oiseaux rares de cet acabit, dont il partage le chatoyant plumage, l’éblouissant ramage et l’agilité en vol.

Yann Fastier

La Vallée des dix mille fumées,
de Patrice Pluyette
Seuil, 318 pages, 19

Le vaste monde, en plus petit Par Yann Fastier
Le Matricule des Anges n°196 , septembre 2018.
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