Puisqu’Henri Calet ne dispose toujours pas d’œuvres complètes et d’une biographie que l’on attend désormais depuis longtemps, les amateurs de la prose de ce grand écrivain français du siècle dernier ont tout au moins le plaisir de voir paraître, outre d’occasionnelles rééditions, des inédits. En substance, Paris en maraude, un gros volume issu des archives de Calet déposées à la bibliothèque Jacques Doucet par sa dernière compagne Christiane, la fille de Roger Martin du Gard. Là, dans un classement tout relatif, reposaient toutes les notes qu’il avait prises au cours de ses déambulations parisiennes à la recherche de documentation pour ses ouvrages. Il avait en tête en particulier un Paris par arrondissement, que le spécialiste Michel P. Schmitt (il est l’éditeur de Par ma lucarne, Gallimard, 2000) a pu recomposer à partir des papiers épars : il fallait « Discipliner les gribouillis ». Récemment, Le Dilettante avait donné Huit quartiers de roture où dans ce même mouvement exploratoire Calet visitait en particulier son nord-ouest de la capitale, cette « mégalopole de rang moyen », selon Schmitt, qui ne cesse d’attirer les ferveurs des poètes et des essayistes, comme s’il y avait quelque Graal à découvrir derrière les murs de cette ville toujours changeante, toujours décevante et cependant toujours attirante.
Depuis Louis-Sébastien Mercier en passant par Rétif et Baudelaire, la description de cette Babylone appréhendable de Paris aura fait coulé de l’encre. C’est qu’il y a quelque chose de fascinant à y voir grouiller une vie protéiforme et changeante, les deuils faisant place aux naissances dans un mouvement sempiternel et presque insensible. Sur le modèle imaginé par les entrepreneurs de Paris-Guide au XIXe siècle qui ont ouvert le marché du livre pour provincial et visiteur étranger en quête de moments inoubliables, une foison de publications émergent chaque année depuis près de deux siècles à propos de Paris – les pseudos-historiens à la Lorant Deutsch poussent comme des champignons. Le premier à découper la ville par arrondissement fut probablement Alexis Martin (1834-1904), qui surfait sur la vogue des guides de voyages, mais avec une particularité nette : il se préoccupait du peuple parisien qu’il visitait lors de « promenades ». Cependant, s’il le prit pour modèle, Calet n’était pas préoccupé de tourisme. Ses explorations, que rappelleront celles d’un Jacques Réda vingt ans après la mort de Calet, le 14 juillet 1956, visaient à la surprise et à l’enchantement. Et c’est bien un rhapsode que Schmitt nous permet de lire aujourd’hui en nous fournissant ce qui aurait pu devenir le point de départs d’œuvres nouvelles.
« (…) rue Mouffetard / samedi 5 h et demie / vers le bas ça s’engorge camelots / suis immobilisé / femmes qui serrent leur porte-monnaie, le regard fixe, / elles cherchent / rue Mouffetard (ancienne voie romaine) / on descend vers la Bièvre / angle place n° 9 inscription sous verre ? / boucherie bœuf sans tête (…) »
Préoccupé de la vie intime des êtres et des traces que portent les murs en signe du passé, Calet prend note et dans la succession des items qu’il place sur ses calepins, on se prend à rêver ce qu’il a vu, et ce que ces empilements de sensations et de remarques auraient pu devenir sous sa patte.
« rue Cadet ex-de-la-Voirie / sous le Grand Orient, on dansait 4 fois par semaine / au Casino Cadet / Nini belles dents / Finette / Marguerite la Huguenote Crapouillot p. 125 /Coin Lafayette pharmacie balance Louis / Vendeurs Huma dimanche 1 couple / Restaurant kascher restaurant David snack Cadet / Boulangerie Adolphe spécialités orientales / Salami hongrois, halva, rahat-loukoum, raki / Jupes, chemisiers, tapis d’Orient (…)En 1806 M. Story fonda une manufacture de boules bleues /Madame Azur ? (Madame Sabatier ?) »
Des boules de lessive de la rue Bleue (ex-d’Enfer) aux « maisons écroulées (fatiguées) » de la rue de la Duée, Henri Calet se livrait à un inventaire mirobolant au moment même où la psychogéographie s’élaborait chez les Situs, là-bas, un peu plus bas.
Éric Dussert
Paris à la maraude, d’Henri Calet, édition établie par Michel
P. Schmitt, Éditions des Cendres, 409 pages, 32 €
Histoire littéraire Calet, le glaneur de Paris
septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196
| par
Éric Dussert
Les archives de l’auteur du Tout sur le tout commencent à livrer leurs secrets. Michel Schmitt en extrait toutes les notes…
Un livre
Calet, le glaneur de Paris
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°196
, septembre 2018.