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Égarés, oubliés L’aventure au galop

septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196 | par Éric Dussert

Écrivaine française d’origine hollandaise, Odette Keun (1888-1978) eut une vie ardente et tumultueuse. Elle risqua même sa peau en Russie.

Odette Keun est un concentré de mystères, et c’est tout ceci à la fois : une personnalité singulière, une volonté et une œuvre restée en jachère. Sa naissance même est le point de départ d’un conte des Mille et une nuits. Odette Zoé Keun est née à Péra, en Turquie, le 10 septembre 1888. « Surplombant Galata, sur quelques-unes des collines qui étayent la ville, Maurice Quinton devinait Péra (…) le centre “civilisé” de l’Empire ottoman, où les Européens vivent, les ambassades siègent, les salons caquettent, les magasins s’épanouissent, les écoles enseignent et les cafés-concerts pullulent ». Entre 1888 et 1978, date de sa disparition à Worthing en Grande-Bretagne, que de mouvements ! Odette Keun est assurément une aventurière avant que d’être une journaliste ou une femme de lettres.
Premier épisode : la rébellion. À la mort de son père, presbytérien, secrétaire du consulat hollandais d’Istanbul, la famille Keun se trouve dans une situation financière délicate. La jeune fille devient difficile et sa mère l’envoie en Hollande suivre ses études dans un pensionnat. Après quelques années, Odette se convertit et veut devenir religieuse. Elle se rend à Tours chez les dominicaines mais rompt son engagement, avant de multiplier les voyages. Elle s’installe tout d’abord à Paris, où elle écrit et trouve à s’éditer, polyglotte qu’elle est. Paraissent d’abord Les Maisons sur le sable (1914) et Mesdemoiselles Daisne de Constantinople (1917). Son premier grand voyage a lieu avec un amant que l’on n’a pas identifié : ils visitent l’Algérie, l’Aurès puis le Caucase. Se pourrait-il que celui qui l’amène en Algérie soit René-Louis Doyon, son thuriféraire qui prosternera, ébloui, ses Livrets du Mandarin d’octobre 1923 à ses pieds ? Quoi qu’il en soit, en 1917, elle est une bolchevik ardente.
Deuxième épisode : la Géorgie. En 1920, elle traverse le pays qui vient d’obtenir son indépendance à cheval. Elle rencontre un prince qui fait d’elle sa compagne. Cet épisode marquant de sa vie sentimentale devient le sujet d’un roman-récit, Le Prince Tariel après avoir été celui d’un récit, Au pays de la Toison d’or.
Troisième épisode : la Russie soviétique. Tandis que Maurice Dekobra nous raconte ce qu’il y advient en terre soviétique dans La Madonne des Sleepings (concentré de soldats endiablés et d’une femme commissaire politique sadique), Odette Keun se trouve entraînée dans la rouge nation contre son gré et tente de s’en extraire. Comme Hélène Gosset et son Nitchévo, elle en donnera le récit dans Sous Lénine. Notes d’une femme déportée en Russie par les Anglais (1922). Sa dédicace n’est pas commune : « Je dédie la première partie de ce livre aux chefs de la police militaire de Constantinople, pour les flétrir ; et la seconde partie à Lénine, pour qu’il sache ce qui se fait en Russie hors de Moscou. » Elle en veut beaucoup aux Britanniques. Les diplomates stambouliotes de sa gracieuse majesté n’ont pas été des plus délicats lorsqu’ils ont fait arrêter la jeune femme. Ils l’ont prise pour une espionne, probablement à cause de ses sorties en faveur de la Révolution. Quant à la déporter en Crimée, cela ressemble à un meurtre déguisé. Odette survit aux trois mois qu’elle passe chez les bolcheviks, lesquels finissent par l’expulser via Tbilissi. D’autres auront eu moins de chance et furent écrasés entre « la brutalité britannique et la folie russe ».
En 1919, de retour à Paris, elle écrit Les Oasis dans la montagne (1920) où elle renoue avec le voyage et son plaisir de raconter, puis Une femme moderne (Flammarion, 1921), roman au titre prometteur qui n’est malheureusement pas de sa meilleure plume. L’enjeu était de ridiculiser un officier français qui l’a rejetée. Durant un séjour à Genève, elle fait la rencontre d’H. G. Wells. Lui est attiré par les belles espionnes, elle admire ses théories sur l’amour libre. Il semble que ce soit la liaison la plus forte de l’existence de l’autodidacte créateur de La Guerre des mondes. Ensemble, durant dix ans, ils s’installent à Grasse. Seulement les choses deviennent difficiles dès lors que Wells refuse d’épouser Odette à la mort de sa femme. Pour se venger, elle se transforme en harpie. Wells la décrira plus tard comme une folle. Dans sa correspondance, il la nomme la « vociferant woman ». Mal lui en prend, Odette Keun réédite le coup de La Femme moderne et publie en 1934, I Discover the English, où elle l’humilie en le présentant comme un mauvais coup… Il se vengera à son tour dans A propos de Dolores (1938). Cette fois c’est lui qui raconte l’histoire d’une femme jalouse, possessive et capricieuse, la « plus singulière des maîtresses ».
La vie ne s’arrête pas là pour Odette Keun bien sûr. Elle s’installe aux États-Unis, publie un pamphlet ou deux, puis retourne chez ses meilleurs ennemis, les Anglais, où elle s’installe durablement, ne s’adonnant plus guère à la littérature, à l’exception d’un récit écrit pendant les bombardements de Londres, And Hell Followed (1942), et quelques autres pages de politique générale. Mais les voies des dieux sont impénétrables et il nous faut nous réjouir que la part la plus intéressante de son œuvre, celle qui appartient au genre littéraire et au récit de voyage ait été rédigée en français. Ainsi ce fragment issu des Oasis dans la montagne qui, peut-être, annonce l’audace d’Odette Keun et quelque chose de son caractère : « Je la reçois, la baraka, dans la demeure de Sidi Brahim, un parent du marabout. C’est un homme jeune encore (…) il écoute les oiseaux et contemple les arbres, et il parle aux bêtes et aux plantes. Il fait l’aumône et il aime Dieu. (…) Lorsque je le quitte, Mosbah, qui m’attendait à la porte, me dit avec la plus fervente gravité : - tu as la baraka… Tu n’as plus rien à craindre. Sidi Brahim sait… »
Avait-il deviné ce qu’il adviendrait de l’œuvre d’Odette Keun ?

Éric Dussert

L’aventure au galop Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°196 , septembre 2018.
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