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Intemporels Tragédie villageoise

septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196 | par Didier Garcia

Dans Mademoiselle B., Maurice Pons troque son costume d’écrivain pour celui d’enquêteur. Enfin presque…

Mademoiselle B.

Un matin d’avril 1972, alors que « deux astronautes américains, sous l’œil de leur caméra électronique » gambadent sur la surface de la Lune (bien moins connus que leurs prédécesseurs, il s’agit de John Young et de Charles Duke), on découvre un cadavre flottant sur la Flanne, un cours d’eau imaginaire près duquel le narrateur a élu domicile – un certain Maurice Pons, qui n’est sans doute ni tout à fait l’auteur des Saisons (pierre de touche de son œuvre), ni tout à fait quelqu’un d’autre.
Nous voici donc à Jouff, commune imaginaire elle aussi, dans une campagne qui paraît avoir hérité de celle qui environnait le moulin d’Andé où Pons a vécu jusqu’à sa mort, et située à quelque 250 kilomètres d’une vie parisienne qui lui avait tendu les bras mais que l’écrivain devenu célèbre avait volontairement fuie. Un petit bout de pays dans lequel tout le monde se connaît, s’observe, se surveille, et où tout peut être dit (le blanc et son contraire – et même n’importe quoi).
Pour en revenir au cadavre, que Pons décrit avec une étonnante complaisance envers le morbide, c’est celui d’un natif de Jouff. Un citoyen qui serait parfaitement ordinaire si on ne l’avait vu, récemment, se rendre chez Mademoiselle B. Mademoiselle B., c’est-à-dire une femme ni particulièrement belle ni particulièrement jeune, dont personne n’a encore jamais vu les mains (toujours couvertes par les mêmes gants blancs), mais dont certains font une « créature » et sur le passage de laquelle des femmes du coin n’hésitent pas à se signer. Une demoiselle qui va bientôt occuper les pensées du narrateur, s’inviter dans ses rêves, envahir son espace nocturne et domestique, à mi-chemin entre l’image onirique et la présence surnaturelle.
Contrairement au gendarme du lieu, sans doute désireux de classer l’affaire au plus vite, le narrateur est persuadé qu’il ne s’agit pas que d’un suicide. Il va donc mener sa propre enquête, s’efforçant de démêler le faux du vrai parmi les rumeurs, les racontars et les on-dit qui circulent, certains villageois allant jusqu’à parler de magie noire (on n’est jamais bien loin d’une nouvelle chasse aux sorcières).
Avec le deuxième décès suspect (un homme d’Église, retrouvé pendu), il acquiert la certitude que cette Mademoiselle B. attire chez elle des hommes qui n’en ont ensuite plus pour longtemps à vivre. Possède-t-elle un réel pouvoir maléfique ou n’est-ce qu’une de ces coïncidences que la vie réserve parfois, imitant ainsi la fiction malgré elle ? À la fin, le mystère sera entier, mais entre-temps on aura fermement conseillé au narrateur de ne pas trop se mêler de tout cela. Sauf son propre fils (imaginaire bien sûr !), qui l’encourage à écrire un roman sur l’énigmatique demoiselle (qui fera une troisième victime, dont nous tairons l’identité pour laisser au lecteur le plaisir d’une ultime surprise). En l’occurrence, la proposition tombe plutôt mal, ce Maurice Pons-là s’étant justement promis de ne plus écrire la moindre ligne.
C’est peut-être la véritable singularité de ce roman (publié en 1973) : parallèlement à ce qui se passe et se vit à Jouff (des scènes teintées d’un fantastique qui n’est pas sans rappeler celui d’un André Hardellet par exemple, autrement dit non pas de l’épouvante, mais simplement du mystère – celui des choses qui ne s’expliquent pas ou qui résistent à la raison), Mademoiselle B. offre au lecteur des pauses autobiographiques, dans lesquelles Maurice Pons évoque sa vie d’écrivain. Son voyage en Estonie par exemple, pour le tournage du film tiré de son Passager de la nuit (Julliard, 1960). Sa rencontre avec son René Julliard, son premier éditeur. Ou ses propres livres, accompagnés de leurs traductions, soigneusement rangés sur une étagère : « Les jours de cafard, je prends un mètre à ruban et je mesure la longueur de mon rayon. En période de désespoir, je compte et additionne toutes les pages, je divise par le nombre de mes années, j’affecte des coefficients arbitraires. Je compare avec l’œuvre de Tolstoï. J’obtiens des résultats désespérants. »
Ce sont ces aller-retour entre la fiction et la réalité autobiographique qui font la saveur de Mademoiselle B. En rendant poreuse, et presque inexistante, la frontière entre le réel et le surnaturel, Maurice Pons nous abandonne dans une sorte de no man’s land où soudain plus rien ne paraît impossible. De là à croire que la demoiselle « détenait vraiment, derrière ses yeux de glace bleue ou par-dessous ses gants de fil blanc, la clé d’un secret tenace, ancré dans le cœur des hommes », il n’y a qu’un pas à franchir – lequel, après tout, vaut bien celui réalisé par d’autres sur la Lune.

Didier Garcia

Mademoiselle B., de Maurice Pons
Denoël, 272 pages, 13,90

Tragédie villageoise Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°196 , septembre 2018.
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