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En grande surface Homère d’alors

septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196 | par Pierre Mondot

Face aux portes obstinément closes du fort de Brégançon, les envoyés spéciaux soupirent. Quelques-uns se surprennent à regretter le quinquennat précédent, et cette période bénie où le couple élyséen se mêlait aux estivants ordinaires. Désormais le chef de l’État s’isole et rissole dans son oppidum, loin des micros et caméras. À l’heure du goûter, un attaché de presse consent à communiquer un peu de l’écume des journées présidentielles. Parmi ce vide, une liste : les lectures d’Emmanuel en vacances. Bernanos, Genevoix et le dernier Tesson, Un été avec Homère. On imagine le choix de ce trinôme mûrement réfléchi. Un soupçon de spiritualité pour consolider les liens avec l’électorat catholique, à quoi on ajoute une pincée de ruralité pour se défendre du parisianisme dont l’accusent ses adversaires. Et Tesson ? L’écrivain-géographe cumule les avantages. Il permet d’abord d’afficher sa proximité avec son peuple : depuis sa parution ce printemps, l’essai figure en tête des ventes. S’il ne partage pas la plage de ses compatriotes, au moins fréquente-t-il les mêmes pages. Puis, le principe de la collection initiée par Antoine Compagnon avec Montaigne et Baudelaire, se conforme à l’obsession macronienne de la concomitance : Homère et en même temps Tesson, l’ancien et le nouveau monde. Enfin, l’œuvre de ce dernier, où chaque livre s’associe à un pèlerinage, paraît une réponse littérale à l’injonction fondatrice de l’homme politique : En marche !
C’est par une robinsonnade que Sylvain Tesson se fit connaître. L’auteur s’enferma six mois dans une cabane, sur la rive du lac Baïkal, et le témoignage de cette réclusion volontaire rencontra un vif succès. Amusant paradoxe : c’est par l’érémitisme que l’homme accéda à la renommée. Son récit coïncidait avec une passion moderne pour la vie sauvage, dans le sillage de ces jeux télévisés où l’on célèbre les candidats capables d’allumer un feu avec deux pierres avant d’y faire dorer des lombrics. L’expérience lui permit d’occuper une place laissée vacante dans les lettres françaises, celle de l’écrivain-aventurier. Entre trappeur et trappiste. Un Jacques Londres, bien de chez nous.
Pour pénétrer au mieux les mystères des chants homériques, fidèle à sa méthode, notre anachorète s’est retiré sur l’île de Tinos, au large de Mykonos, dans « un pigeonnier vénitien », pour une lecture sur le motif. Parce qu’ « il faut séjourner sur un caillou pour comprendre l’inspiration d’un artiste aveugle, vieux nourrisson allaité de lumière, d’écume, de vent ».
En équilibre sur les épaules de l’aède, Sylvain Tesson contemple l’époque et maugrée. Le réquisitoire est sévère. Sous sa plume, Homère prend les traits d’un Finkielkraut en toge. Ainsi, d’une description de « l’insolent et ennuyeux vacarme » mené par les prétendants qui festoient dans le palais d’Ulysse, l’auteur tire cette conclusion : « Deux mille cinq cents ans plus tard, tous les peuples du monde se rendent compte qu’il y a un rapport proportionnel entre la nocivité d’une communauté et le niveau sonore atteint pour manifester ce qu’elle croit être son triomphe. »
Sans compter que le niveau baisse : « Nos grands-parents apprenaient par cœur des passages de l’Iliade et l’Odyssée.  » Non. Notre auteur aura à son tour succombé à l’hubris. En vérité, nos grands-mères faisaient du vélo (ou des confitures), mais récitaient assez peu d’hexamètres dactyliques.
Le web concentre désormais les puissances chaotiques : « Bill Gates et Zuckerberg sont les nouveaux dealers de loto » et « les heures que nous passons hypnotisés par les écrans digitaux ressemblent aux heures hagardes des marins sur l’île empoisonnée ». Tesson l’affirme : « Nul héros grec n’a besoin d’un site internet. » Mouais. N’empêche que si Ulysse avait rentré « Ithaque » sur Waze au lieu de manœuvrer son embarcation au doigt mouillé, il se serait évité des retrouvailles amères avec une Pénélope ménopausée.
À coup sûr, le président se sera trouvé des affinités avec l’auteur. Les deux hommes ressemblent aux enfants du XIXe siècle tels que les décrivait Musset, ces « gladiateurs frottés d’huile » qui virent « se retirer d’eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leur bras ». Tesson a d’ailleurs récupéré les principaux attributs de l’écrivain sous la IIIe République : la pipe et l’imparfait du subjonctif.
L’intuition d’une parenté intellectuelle trouve sa confirmation au mitan de l’ouvrage. Lorsqu’il veut commenter au chant XIV, dans l’Iliade, le moment où Héra, relookée par Aphrodite, détourne l’attention de Zeus par ses charmes, Tesson hésite. Tourne longtemps sa plume dans l’encrier. Quel adjectif pour qualifier cette scène de vaudeville ? Ridicule, bouffonne, saugrenue, cocasse ?
Eurêka : « croquignolesque ».

Homère d’alors Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°196 , septembre 2018.
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