On ne sait pas trop comment présenter l’Américain John Gierach (né en 1946), tenu pour l’un des meilleurs représentants du nature writing : est-il un écrivain qui pêche, ou un pêcheur qui écrit ? À l’en croire, il serait plutôt un pêcheur, qui écrit quand il ne pêche pas (en gros durant les cinq mois d’hiver), afin de pouvoir pêcher le reste de l’année et rembourser son emprunt immobilier.
Ce qu’il y a de bien avec lui, c’est qu’on sait toujours, avant d’entrer dans un de ses textes, plus ou moins de quoi il va parler : d’un lac ou d’une rivière à truites, et de la pêche à la mouche. On pourrait même lui reprocher de ne pas beaucoup se renouveler d’un livre à l’autre puisque les sept volumes précédemment traduits, depuis son Traité du zen et de l’art de la pêche à la mouche (2009), sont consacrés à la pêche. Mais sa réussite se trouve peut-être là finalement (et en l’occurrence il n’est pas exagéré de parler de talent) : dire toujours un peu la même chose mais sans lasser son lecteur. En lui réservant même des surprises. Et en renouvelant son plaisir.
Une fois n’est pas coutume, les récits présentés ici suivent un ordre chronologique, qui est celui d’une saison de pêche (de la fin d’un hiver au début du suivant). Mais comme dans les recueils précédents (qui regroupent des chroniques publiées dans des magazines de plein air), difficile de dire de quoi ces textes sont faits. Ils ont chacun leur centre de gravité : le plus souvent une partie de pêche (réalisée dans un État américain ou une province canadienne), autour de laquelle Gierach laisse son esprit vagabonder et empoigner ce qu’il trouve. Ce qui l’appelle. Cela peut bien sûr être tout et n’importe quoi, mais c’est précisément là qu’il excelle : dans les nombreuses digressions qu’il abandonne en chemin, et qui font la saveur de chacun de ses livres. Sans doute parce qu’il est curieux d’à peu près tout, et qu’il n’y a pas un sujet qu’il se refuse d’aborder.
Il arrive aussi que le récit s’écarte des eaux qui abritent les truites (en général de belles farios), pour aborder la pêche sous un autre éclairage. En présentant par exemple les fabricants de cannes en bambou (lesquels sont souvent ses copains), les carnets de pêche, qui sont pour le pêcheur ce que sont les carnets pour l’écrivain, les boutiques de pêche à la mouche (technique à laquelle il dit vouer une véritable addiction), ou en explorant l’évolution des pratiques (cette liste n’a bien sûr rien d’exhaustif). C’est donc la pêche, toujours la pêche, rien que la pêche, mais sous toutes ses facettes, et avec tout ce qui se trouve autour d’elle.
Au final, ce qui se dessine, c’est moins le portrait de l’écrivain que celui du pêcheur, dont la tendance naturelle est de « penser que les choses étaient mieux avant et qu’elles sont pires aujourd’hui ». Un homme que l’on aimerait se choisir pour guide, et qui, par surcroît, se révèle être un conteur enthousiaste. Un pêcheur d’abord et surtout désireux de trouver des endroits intacts, préservés, sur lesquels l’humanité n’a pas encore réussi à poser sa lourde patte. Lui-même reconnaît d’ailleurs ne jamais se lasser de s’émerveiller devant ce « paradis de la truite que sont les Rocheuses ». Ou devant les beautés du parc de Yellowstone, où celui qui s’y aventure tombe tôt ou tard sur le panneau « Danger grizzlys » pour le rappeler à la prudence.
Aucun doute : John Gierach est bel et bien un pêcheur « parfaitement heureux ». Et qui n’oublie pas de communiquer son bonheur à ses lecteurs. Ce qui en fait un écrivain attachant.
Didier Garcia
Sur la tombe du pêcheur inconnu,
de John Gierach, traduit de l’américain par Anatole Pons, Gallmeister, 256 pages, 21,80 €. Chez le même éditeur, réédition en poche de Sexe, mort et pêche à la mouche (304 pages, 9,40 €)
Domaine étranger Au pays des farios
novembre 2018 | Le Matricule des Anges n°198
| par
Didier Garcia
Dans ce nouveau recueil, John Gierach nous présente une saison de pêche à la mouche. Avec en toile de fond une nature toujours sauvage
Un livre
Au pays des farios
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°198
, novembre 2018.