Hippocampe N°15 (peau)
Pluri et transdisciplinaire, la revue Hippocampe l’est assurément ! Mais va bien au-delà des matières, des formatages, des perceptions tout en entretenant des rapports très étroits entre écriture et images.
Dans ce quinzième opus, Alain Freudiger présente un memento mori en analysant un texte du Suisse Max Frisch (1911-1991) L’Homme apparaît au Quaternaire qui évoque l’érosion de la mémoire d’un vieil homme. « Ce court récit qui tâche de mettre en ordre, de classer, de répertorier – comme une préparation à la mort, aussi – pour dresser un fragile barrage de connaissances et d’humanité face au chaos, à l’érosion et à la liquéfaction, est décidément plus que jamais notre contemporain. » D’érosion à gommage, il n’y a qu’un pas que Camille Paulhan franchit pour présenter trois jeunes artistes Jérémie Bennequin, Estefania Peñafiel Loaiza et Marianne Mispelaëre qui se jouent de l’effacement. « Il n’est pas impossible que certains de nos contemporains s’interrogent sur la façon de ne pas ajouter d’images à la crue des représentations dans laquelle nous baignons. » Tandis que Warren Lambert analyse la figure fantomatique du cerf dans le cinéma de Bambi à nos jours : « le cervidé ne semble destiné à partager avec l’homme que sa propension pour la chute : lorsque faon, biche ou cerf font ainsi irruption au cinéma, c’est généralement pour s’effondrer la minute d’après. » Un dossier évoque « La peau ». Caroline Parietti délivre un poème qui se conclut ainsi : « Nous sommes les miettes que le soleil effrite, ou câline à l’émoi. / Il n’y a que le corps pour témoigner de la cicatrice et de la caresse. » La plasticienne suisse Heidi Bucher (1926-1993) prélevait la peau des lieux. Les recouvrant de latex, elle les écorchait une fois secs en décollant leur empreinte, établissant un lieu tendu entre corps et architecture. D’étranges photos illustrent ces expériences quasi médiumniques. Kazumichi Hashimoto révèle dans une veine voisine et spirite l’empreinte digitale des fantômes. Las, il s’agira d’un montage frauduleux ! « Il y a donc une contradiction profonde entre l’état de fantôme et les empreintes digitales. Car si un fantôme présente des empreintes au bout de ses doigts, c’est qu’il n’en est justement pas un ! »
D’écorchés en écorchures, Hippocampe s’intéresse aussi au sonore, présente une création radiophonique sur l’île de Groix, des sortilèges phonographiques et des extraits de romans inédits. Toujours dans une très belle mise en page.
Dominique Aussenac
Hippocampe N°15, 120 pages, 13 €