Milène Tournier a écrit un texte marin. Un texte qu’elle décline en trois parties : « à marée basse, à marée haute, le roulis ». Au début, dans la queue devant une boulangerie, le fils, Jacques, demande à sa mère : « Est-ce que moi aussi un jour je vais mourir ? » Et la réponse de la mère scandalise les témoins : « Jacques. Non. Tu ne mourras pas. Jamais. ». Ce faisant, la mère crée le monstre et indigne les autres parents. À la fin, la doyenne arrive par la mer, une bouée autour d’elle. On comprend qu’elle a gardé Jacques petit, et que maintenant elle attend de mourir. Elle porte un regard sur sa vie, en forme de bilan, constate qu’elle n’a pas appris grand-chose et qu’elle n’a pas lu Victor Hugo. Qu’il est déjà temps de céder la place et que ce n’est pas facile : « Moi j’ai rien que la peur d’une toute humaine, la bête peur de mourir demain. » Entre les deux, l’auteure ouvre pour nous des petites fenêtres, des hublots, d’où l’on voit vivre la famille du monstre. Jacques, ce fils étrange qui a des mouettes plein la tête, se demande si l’escalier ne joue pas à être un escalier plutôt que d’être un escalier vraiment. La mère évoque la naissance de son fils et sa rencontre avec son mari : « Mon mari trouvé comme on tombe par hasard sur un concert gratuit. » Le père raconte le temps passé dans son fourgon et ce fils « qui n’est pas le produit de notre amour (…) mais le produit de notre époque ». Comme les vagues sur la plage, les sujets se succèdent, se prolongent ou s’effacent de manière ininterrompue. Et construisent le rapport au monde de ces trois personnages, étonnés, surpris, découvrant le monde et sa beauté, son étrangeté aussi.
L’écriture de Milène Tournier, luxuriante, se déploie comme une vague s’écrasant sur le sable, et n’en finit pas d’avancer ; vague après vague, elle recrée le mouvement incessant de la mer. La parole déferle en longues phrases. C’est une écriture poétique, sensible, qui va d’une chose à l’autre, d’une question à l’autre, d’une réponse à l’autre. Et qui met en scène un chœur, « un chœur monstrueux », très présent, sorte d’équipage de ce vaisseau qui roule sans fin et nous déroule l’étrangeté d’une vie. PGB
Et puis le roulis, de Milène Tournier
Théâtrales, 48 pages, 8 €
Théâtre Le va-et-vient d’une vie
mars 2019 | Le Matricule des Anges n°201
| par
Patrick Gay Bellile
Un livre
Le va-et-vient d’une vie
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°201
, mars 2019.