Dans Le Mythe de l’éternel retour, le sombre et lumineux historien des religions Mircea Eliade évoque la notion de réalité chez les peuples dits primitifs indo-européens. Pour eux tout ce qui était réel était sacré. Un objet ou un geste n’étaient réels que s’ils répétaient une action effectuée à une époque mythique. Le rituel qui en découlait octroyant une force sacrée. Tout le reste appartenait au Chaos.
Les romans de Lionel Salaün sont loin d’énoncer pareille théorie, mais s’articulent autour des notions de retour, de quête de vérité, d’apocalypse ou d’épiphanie (dévoilement, révélation), d’archétypes (l’Antiquité, le western, le cinéma). Ils ouvrent vers des dimensions mythiques tout en confrontant passé et présent. Le retour d’un étranger au sein d’une communauté sème le trouble. L’harmonie de celle-ci a été rompue dans le passé par un événement violent et injuste. L’étranger vient réparer cette faute, parfois réclamer vengeance. Ce qui produit violence et chaos. Dans Whitesand, l’arrivée du jeune Ray Harper, un être cultivé aux manières amènes et policées, agite la communauté rurale d’Huntsville, en ce début des années 70. Que cachent cet Hermès à double-face, cet homme de l’entre-deux culture, l’entre-deux couleur et ces cow-boys aux manières brutales, racistes, expéditives d’un Sud profond qui n’a guère évolué depuis la fin de l’esclavage ? Est dressée ici toute une galerie de personnages aux traits marqués, aux psychologies contrastées. Des brutes, les frères Ackerman et leur mère propriétaire du domaine tombé en décrépitude de Whitesand. Attention, la notion de fratrie peut en cacher une autre ! La belle serveuse de bar, très attentionnée envers le héros. Le shérif, lui aussi étranger et passionné de météorologie. D’une écriture bouillonnante et très travaillée, Whitesand surprend par la prégnance de son récit et l’extrême vivacité de ses images.
Vos romans sont toujours basés sur le retour d’un homme au sein d’une communauté. Pourquoi cette démarche ?
Un retour est toujours la conséquence d’un départ, d’une absence. Le vécu de ceux qui se sont ainsi éloignés, à plus forte raison si les liens qui les unissaient ont été rompus, tend à faire d’eux des étrangers. Des étrangers avec cela de particulier qu’ils partagent une base d’histoire commune, parfois conflictuelle, parfois secrètement intime, dont le souvenir, enraciné au plus profond d’eux-mêmes, complique le travail de reconnaissance. Les plaies du passé ont-elles cicatrisées ou se sont-elles infectées ? Va-t-on retrouver une place au sein de la communauté de long temps désertée ? Et cherche-t-on vraiment à s’y réinsérer ? Et, surtout, pourquoi revient-on ? C’est ce cheminement, des raisons du départ au choix du retour, avec tout ce que cela implique de questionnement, de méfiance, d’espoirs ou de rejet, que je m’efforce de décrypter.
Écrivez-vous aussi avec une idée de retour, de revanche, de recherche d’une vérité ?
Un retour est, avant...
Entretiens Ulysse au bayou
avril 2019 | Le Matricule des Anges n°202
| par
Dominique Aussenac
Porté par un souffle épique, le quatrième roman de Lionel Salaün nous transporte dans le sud du Mississippi. Puissant, grinçant, haletant.
Un livre