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Domaine étranger Porter au rouge la sensualité de l’entendement

avril 2019 | Le Matricule des Anges n°202 | par Richard Blin

Qui connaît l’écriture singulière et fulgurante de Maria Gabriela Llansol (1931-2008), une Portugaise qui avait l’audace des grands découvreurs, l’inventivité des troubadours et le sens de la merveille.

A l’ombre du clair de lune

Enfermés que nous sommes dans nos habitudes de lire et notre idée de la littérature, l’on n’attend guère de celle-ci qu’elle soit différente de ce qu’elle est. Et l’on a bien tort, car loin des lieux communs, des vérités et des consensus, il est des écritures qui, brisant toutes les frontières entre les genres nous déconfortent certes, nous confrontent à des effets d’étrangeté, mais c’est pour mieux nous mettre en osmose avec l’onde mystérieuse de la force littéraire dont le secret tient sans doute à un certain art de la jouissance. C’est le cas des livres de Maria Gabriela Llansol.
Née à Lisbonne en 1931, décédée en 2008, elle vécut de longues années d’exil en Belgique (1965-1984) ne regagnant le Portugal que bien après la révolution des œillets et le retour de la démocratie. Auteur de vingt-six livres sans mention de genre, de trois journaux – Un faucon au poing (Gallimard, 1993), Finita et Enquête aux quatre confidences (Pagine d’Arte, 2012 et 2013) – et de traductions de poètes français – Baudelaire, Mallarmé, Apollinaire, Rimbaud, Pierre Louÿs… –, elle a toujours écrit dans les marges de la langue, blasonnant un corps textuel inédit né d’une série d’expériences intérieures à la Georges Bataille, c’est-à-dire d’états de présence absolue, où l’espace et le temps se trouvent un instant abolis dans une jouissance qui touche l’extase, au sens d’une sortie de soi, d’un devenir étranger à soi.
Ni roman, ni récit, ni poème, ni autobiographie, mais tout cela à la fois, véritables prismes de beautés fragmentées et de hantises réfractées, ses livres sont des tentatives de saisie de l’être à partir de noyaux d’intensité qui peu à peu prennent figure et sens, réalité et chair. Des livres dont À l’ombre du clair de lune, une anthologie de fragments choisis, qui vient de paraître (Pagine d’Arte) est le reflet et l’apéritive invite à leur lecture. Se défaisant du « rhumatisme des concepts », Maria Gabriela Llansol a très vite opté pour « la rive de la langue », persuadée qu’elle était que, « presque ignoré de la littérature dominante, s’obstine à surgir un champ inondé de la langue où se connaître à travers elle fait partie des amours intimes ». C’est à partir de lui que s’élabore un texte lacunaire, traversé de visitations et hanté par une voix cherchant passage en des élans toujours vierges. Fruit d’une attention sans faille aux marques du quotidien (maison, jardin, couture, animaux familiers, fleurs, arbres…) comme aux étreintes de la pensée – qui n’est pas le raisonnement mais « un faisceau de réflexions, de sentiments, de visions qui s’enchaînent et se fraient un chemin » – ce que nous lisons relève d’une subtile alchimie dont le regard est le principe actif.
Un regard sous lequel les choses ne sont plus ce qu’elles paraissent être, un regard qui voit les mouvements agitant l’immobile, qui ouvre le monde, libère ce qui est contraint, métamorphose l’étonnement en désir d’exploration. Un objet, un corps, un vêtement, des aliments, un son, une image, un dialogue prennent soudain une singulière acuité, s’imposent à l’attention, émettent « une scintillation » que le regard capte – « Je suis un œil cannibale » – que le corps reçoit, ressent comme l’appel d’une présence, le désir d’une relation. Se laissant alors guider par la perception mélodique qu’elle en a, Maria Gabriela Llansol écoute ce qui se dit et va à sa rencontre à travers l’éclat de ce qui fulgure, se fait source d’être, épiphanie ou « scène fulgor », comme elle dit. « J’essaie de voir si le fulgor qu’il y a, parfois, dans les choses, est meilleur guide que les croyances que nous avons sur elles, ou les pensées qui, à propos d’elles, nous viennent. » Une démarche qui enclenche des effets de surimpression et un travail de la coïncidence qui fait se mêler et se superposer les lieux et les époques, comme les sentiments et les expériences. Les paysages glissent les uns sur les autres, là-bas se rabat sur ici, le découvert et le dissimulé se confondent, échangent leur visage, entrent en symétrie. Tout vibre dans la « maison du texte » où passent aussi des rebelles portés par le désir d’une nouvelle terre ou d’un ciel nouveau, qu’ils soient mystiques – Hadewijch, Eckhart, Jean de la Croix – ou pas – Kafka, Bach, Kierkegaard, Pessoa, Hölderlin, Rimbaud, Rilke, Musil, Ibn’Arabi. Une maison qui donne asile à l’espace d’une voix que l’auteur accompagne en lui ouvrant un chemin, et où textes lus et texte en cours d’écriture se chevauchent, où apparaissent aussi non pas des personnages mais des « figures » – personnages historiques ou mythiques, arbres, animaux ou image de rêve – qui sont des principes actifs s’associant par affinités ou se confrontant les uns aux autres. « Nœuds constructifs » du texte, ils sont comme des compagnons, des « figures d’intensité » qui partagent notre conversation, dit Maria Gabriela Llansol. Ainsi se développe une relation textuelle, physique, dont la dynamique « est la mutation des grands récits et une réponse aux drames de l’affect ». C’est de ces conjonctions, souvent jubilatoires, de l’éphémère et de l’intense, que témoignent ses journaux et ses livres, comme Où vas-tu drame-poésie (Pagine d’Arte, 2014) ou Les Errances du Mal (Métailié, 1991) pour ne citer que ceux qui sont accessibles en français.
Portée par un vrai désir de connaissance, et par une imagination particulièrement créatrice, M G Llansol s’aventure littéralement dans son texte, son esprit se faisant corps et son corps esprit voyageur. Chacun de ses livres atteste d’une traversée, d’un cheminement, d’une forme de transhumance de l’être qui n’est pas sans risque. Mais « si je ne risque jamais la raison, jamais je ne saurai ». C’est pourquoi son écriture déambule à la limite de la perte d’identité, pense avec le corps, explore l’étrangeté de « l’immense vivant ». Car la vie n’est pas essentiellement, ou principalement, humaine. Sans forme stable, le vivant, qu’il soit organique, construit ou conçu, est cette chose qui, en marge de l’humain, et dans un bref déchirement de l’entendement, entre en dialogue avec nous à l’aide d’un langage sans imposture et sans annulation mutuelle. Ce que les nœuds volatils d’images, de pensées, de fascinations viennent chercher en nous est la vibration pour le vivant et le nouveau. Ils ouvrent des chemins qui nous font conjuguer des possibles, produire des réalités et des relations « conjugables » que Maria Gabriela Llansol nous donne à partager. « Il n’y a pas de littérature. Quand on écrit, seul importe de savoir en quel réel on entre, et s’il y a une technique adéquate pour ouvrir un chemin à d’autres. » C’est ainsi que tout ce qu’écrit celle qui fut une « jeune fille qui craignait l’imposture de la langue » – quand elle cherche à fixer des sens – qui aimait, adolescente, lire, immobile en y ajoutant la jouissance interdite de son propre corps – « Sous le signe de la faute, je jouissais et lisais et, dans le remuement sans violence de cette contradiction, je fondais l’écriture » – peut se lire comme une initiation à une pratique joyeuse de l’imprévisible et de la lecture. « Je crois que la lecture est l’acte sexuel par excellence. Elle pénètre, traverse, transsubstantie. » Comme l’éducation aussi à une nouvelle grammaire des affects, à ce réel absolu que peut constituer la relation amoureuse qui n’a pas pour horizon un seul être, parce qu’un seul être ne complète pas un autre être. Défense et illustration du texte de jouissance, l’œuvre de Maria Gabriela Llansol fait émerger des plis du réel une forme inédite de littérature, qui se fond dans la philosophie, l’ontologie et l’art du plaisir, pour mieux approcher la mystérieuse gloire de vivre tout en donnant voix à l’inconnu du monde qui nous entoure.

Richard Blin

À l’ombre du clair de lune, de Maria Gabriela Llansol, Pagine d’Arte, 80 pages, 16 , et tous les livres cités dans l’article.

Porter au rouge la sensualité de l’entendement Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°202 , avril 2019.
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