œuvre majeure dans la production du fondateur de la poésie concrète, Galaxies d’Haroldo de Campos (1929-2003), figure centrale de l’avant-garde brésilienne, est un « voyage-livre » sous la forme d’une suite de 50 poèmes fleuves, au sens où ils coulent, ininterrompus, tempétueux, en de longs vers bouillonnants, où les langues, les lieux, les temps se mêlent incessamment. Écrits sur plus de vingt ans, ces chants dévergondés sont une « matière de vie de lutte de la matière de lutte non lue translue », la langue y est « si ténue si menue si tremblante », une « ramure d’histoire » qui « s’effiloche » et « en se scellant elle se suspend », « le texte entretissant entretramant entrecoupant des points arrièrepoints » dans « une toile tamisée toile d’arachnide » jusqu’au « stellaire steppaire de paroles cousant avides » des « réseaux de lettres sinistres », des « légendes de symboles ». On l’aura compris, il s’agit d’une poésie qui malaxe les mots pour mieux les réinventer et ne se prive pas d’articuler, de faire et défaire en permanence la théorie qui la soutient. Campos est un poète anthropophage qui avale d’une bouchée la tradition lyrique et les matériaux les plus disparates pour les recracher sous la forme de pelotes de déjection qui sont autant de (néo) cosmogonies totalisantes jusqu’à l’éparpillement même de toute totalité (excessive par nature), une sorte de monde-fiction qui, pour citer l’épigraphe de Mallarmé (l’infatigable père de toute avant-garde poétique) « affleurera et se dissipera, vite / d’après la mobilité de l’écrit ». La poésie, à la fois terriblement matérielle, donc, et frôlant les rives labiles d’un hermétisme envoûtant (un idéal d’au-delà du sens) est « cette onde obscure qui moutonne / que de masques pour arriver au papier ». Il y a une intention globalisante, une volonté de dépasser les carcans de l’écriture pour atteindre l’art total ; chaque poème semble n’avoir qu’une envie, celle de faire exploser l’espace de la page et virevolter au dehors dans « un cristal poreux à la lumière mangé d’air ». Guillaume Contré
Traduit du portugais (Brésil) par Inês Oseki-Dépré & l’auteur, Nous, 140 p., 17 €
Poésie Galaxies, de Haroldo de Campos
juin 2019 | Le Matricule des Anges n°204
| par
Guillaume Contré
Un livre
Galaxies, de Haroldo de Campos
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°204
, juin 2019.