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Domaine français Liège en douces mesures

septembre 2019 | Le Matricule des Anges n°206 | par Guillaume Contré

Philippe Marczewski propose le récit de ses pérégrinations dans sa ville natale, sur laquelle il jette un regard tour à tour amoureux, mélancolique et affûté.

Blues pour trois tombes et un fantôme

On peut, tel un Bruce Chatwin, se convertir en écrivain globe-trotter et fatiguer la planète d’un bout à l’autre, en reconstruisant sous nos pas l’inconnu, la différence et ce que celle-ci nous fera découvrir (tout en confrontant l’expérience directe à la connaissance livresque, car il serait idiot de partir sans s’être documenté un minimum). Mais on peut également, sans être aussi radical que Pascal qui conseillait de circonscrire le malheur des hommes à leur chambre, arpenter le territoire natal et profiter de la connaissance intime que l’on en a pour le redécouvrir et le partager avec ceux qui, sans doute, n’en auraient qu’une idée approximative, voire nulle. Tel est certainement l’option choisie par Philippe Marczewski, lequel, comme son nom ne l’indique pas tout à fait, est un Liégeois pure souche ou presque et qui a choisi de faire de sa ville, jugeant peut-être que son profil trop bas méritait quelque élévation, le sujet de son premier livre.
Ce « blues » qu’il nous propose (car la mélancolie, comment faire autrement, semble être le sentiment liégeois par excellence) s’articule en une série de dérives ni surréalistes ni situationnistes (l’auteur est trop modeste pour cela et l’époque, après tout, ne s’y prête peut-être pas), mais intensément subjectives qui démontrent amplement qu’une ville provinciale (quand bien même Liège ne le fut pas toujours) a autant à dire à qui sait regarder et creuser les couches sédimentaires qu’une capitale dont la morgue et la muséification finissent par nous empêcher de rien voir.
Cela s’ouvre sur un faux départ en guise de vraie porte d’entrée, lorsque l’auteur, éméché (le Belge boit, c’est entendu, et les bars – populaires – auront leur place ici), contemple depuis les hauteurs la ville anglaise de Sheffield, lieu qui n’est « pas accueillant au voyageur de hasard » et où il lui semble reconnaître, l’espace d’un instant, sa ville natale. Les deux cités, certainement, partagent dans le trop rapide imaginaire collectif une image de zones sinistrées depuis que la sordide industrie n’y déverse plus ses méphitiques effluves et que l’horizon de tourments qu’elles offraient aux travailleurs a été remplacé par la désertique pampa du chômage de masse.
Il y a certainement, sans prétendre – que Dieu l’en préserve – au pamphlet, une intention sociale marquée dans ce texte, qui se mêle aux considérations historiques (parfois en creux, comme dans l’évocation d’une gigantesque cathédrale détruite à la révolution et dont l’absence est une blessure jamais vraiment cicatrisée), mais aussi géographiques, météorologiques, urbanistiques voire musicales (l’âge d’or jazzistique de la ville wallonne n’est pas si lointain et il compte parmi ses personnages récurrents – excusez du peu – Chet Baker).
Passant de la contemplation d’un terril disparu – comme si l’enfer connu par des générations de travailleurs souvent immigrés devait disparaître corps et biens sans laisser nulle trace – à la montée et descente d’escaliers du Moyen Âge (dans les méandres desquels se cachent les débris d’ordres religieux dont il ne reste parfois plus que l’étrange destin de leur nom), d’une banlieue en friche aux bribes de forêts ou de bois qui, çà et là, survivent encore péniblement, contemplant encore le reflet douteux de la ville dans les eaux d’une Meuse à la liberté bridée, Marczewski avance d’un pas de flâneur introspectif. S’il est toujours disponible pour apprécier la beauté – même crasseuse ou au contraire trop ravalée – de ce qui s’offre à son regard, il ne peut s’empêcher de constater avec amertume les dégâts d’une époque, la nôtre, qui a sacrifié toute sensibilité, poésie et mystère sur l’autel du profit et du court terme.
Peut-être est-ce justement pour combler ce déficit qu’il se prend parfois à rêver, au détour d’une rue, à des serpents aztèques ou à d’impossibles Samarcandes, non par dépit mais pour mieux faire ressurgir ce reste de merveilleux, d’identité inexpugnable que même – ou surtout – une ville comme Liège conserve encore, disponible à qui saura ou voudra s’en saisir.
Guillaume Contré

Blues pour trois tombes et un fantôme,
de Philippe Marczewski
Inculte, 232 pages, 17, 90

Liège en douces mesures Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°206 , septembre 2019.
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