Un livre

Nouvel An

de Juli Zeh

Editions Actes Sud

On lit le chapitre “famille” dans le guide de voyage, cherche ses saucisses préférées dans les rayonnages du supermarché et des émissions pour enfants à la télé » : telle est la définition des vacances selon Henning et sa femme Theresa. Leur Nouvel An aux Canaries en compagnie de leurs deux enfants en bas âge est planifié depuis belle lurette. Theresa, experte comptable, est le pilier économique de la famille, tandis que Henning, éditeur de livres pratiques, s’investit sans faille auprès de ses enfants. Cependant, depuis peu, il est pris de crises d’angoisse sans précédent, « comme si le temps et l’espace avaient perdu leur signification et étaient sur le point de délivrer le code source sous l’interface utilisateur, l’algorithme qui relie tout à tout, où les êtres humains ne sont rien de plus que les intersections de différentes énergies ». Ce qu’il appelle La Chose l’assaille sans prévenir un peu partout, et ne le laissera pas en paix pendant ce séjour qui n’a de paradisiaque que le nom. En effet, alors que les enfants sont intenables et que sa femme s’éloigne de lui, Henning se demande si sa vie personnelle, sentimentale et professionnelle ne tiendrait pas plus du vaste mensonge que de la réussite totale. La soirée du Nouvel An achève de fissurer les valeurs sur lesquelles il s’est appuyé depuis des années. Impulsivement, il part affronter à vélo le volcan Atalaya, seul, sans eau, sans équipement, sans entraînement.
Dans ce récit prenant, Juli Zeh questionne le rapport à l’enfance, les jeux de pouvoir dans le couple, le libre arbitre dans une société conformiste et pleine d’exigences. Si ses personnages adultes sont envahis par la désillusion, c’est parce que plus jeunes, ils débordaient d’espoir, et que les choix qu’ils ont faits les en ont éloignés. Henning, qui a pendant trente ans « vécu sur un réservoir souterrain, sur une grotte, en faisant tout pour ne pas voir le trou qui menaçait de l’engloutir », se réveille enfin.


Camille Cloarec

Nouvel An
Juli Zeh
Traduit de l’allemand par Rose Labourie
Actes Sud, 192 pages, 20 €