Mika Biermann, l'art d'être libre
Dans son nouveau livre, Mika Biermann fait un pas de côté de la ligne qu’il s’était fixée. En s’attachant à dresser un portrait de Paul Cézanne, l’écrivain ancre son roman dans un espace biographique qui détonne par rapport à l’imaginaire débridé qui dirigeait ses livres précédents. Il va même plus loin : il défait l’homme Cézanne de l’icône que l’hagiographie a fini par figer. Le Cézanne de Biermann est un homme de chair, certes habité tout entier par l’injonction de peindre. « C’est un vieil homme à la moustache épaissie par la morve, à la barbe raide de graisse de mouton. (…) On dirait un forgeron invité à la remise de diplôme de sa nièce. » L’homme, chaque jour, part peindre sur le motif, trimballant tout son attirail de peintre que l’écrivain restitue ici avec la précision héritée de la pratique. La peinture, elle-même, est matière. Nourri de la biographie du peintre, le récit de ces trois jours qui vont confronter (via la fiction) Cézanne à un fait divers tragique, rassemble en peu de pages toute une histoire de la peinture : celle qui fait passer, au moment où la révolution industrielle fait ses ravages, de l’ancien monde au nouveau. C’est à un basculement d’époque, peut-être, que le livre nous invite à assister à travers les vieilles figures mythologiques que le peintre va croiser. Figures ridicules que n’accompagnent plus ni trompettes ni tambours. On est à hauteur d’un homme sans idéal, imperméable ou presque à la religion des sentiments. La scène avec son fils en est un bel exemple où la tendresse est bougonne : c’est que l’art ne souffre pas d’attendre et tout ce qui détourne l’artiste de son travail semble une perte de temps. Cézanne peint. Il est peinture. Il n’est ni père, ni ami : il est dans un art « pas assez noble » mais qui offre pourtant le monde à voir. Et par la grâce d’une écriture qui n’abandonne pas la fantaisie et les éclats, on voit apparaître au fil des pages ce monde-là qui est à l’exact croisement de la nature (ses odeurs de fruit blet, sa rudesse) et du regard qu’un homme lui porte afin d’en saisir la vie même.
T. G.
Trois jours dans la vie de Paul Cézanne,
Mika Biermann
Anacharsis, 92 pages, 12 €