Mathieu Riboulet nous a quittés le 5 février 2018. Fidèles à celui qu’elles ont longtemps accompagné, les éditions Verdier publient aujourd’hui ces pages posthumes ainsi qu’un recueil de courts essais et hommages amicalement nommé Compagnies de Mathieu Riboulet. Se recompose alors le paysage – les thèmes et leur entrelacement – de cette œuvre et, surtout, résonne de nouveau sa voix. Ces « éclats de l’année deux mille quinze », comme l’indique le sous-titre, sont, en vérité, des éclats de voix, entre le chant intime et la profération presque oraculaire, pour ne pas dire testamentaire. Longues phrases à la syntaxe constamment tenue, rythme ample et nerveux à la fois, métaphores et anaphores composent un sermon douloureux, des litanies pour notre crépuscule. Comme ce fut le cas, par exemple, dans Entre les deux il n’y a rien (voir Lmda N°166), Riboulet se livre à une méditation poético-politique afin de penser et peut-être conjurer ce qui constitue son présent – et en partie le nôtre. Le cancer du foie, « plus mythologique que chic, prométhéen », qui peu à peu l’affaiblit, n’est en effet qu’un des acteurs d’une cérémonie funèbre dans laquelle les terroristes de la tragique année 2015 occupent la première place. Les questions ici se succèdent – qui demeureront sans réponse. Comment expliquer qu’en ces jeunes corps (qu’il va jusqu’à parer d’une sorte d’aura à la Genet) la mort l’ait emporté sur le désir, le goût de la destruction soit devenu la seule jouissance ? Comment approcher le fanatisme des soldats de Daech, ceux qui ont conquis « les portes de Thèbes », symbole ici de toutes les villes détruites en Irak et en Syrie ? Comment retrouver la « suave brutalité » du « corps mâle méditerranéen » hier encore complice dans le plaisir ? Comment, en ce monde « où tout se ferme », parvenir encore à « écrire des livres ouverts » ?
Thierry Cecille
Les Portes de Thèbes, de Mathieu Riboulet, Verdier, 72 pages, 12,50 €
Domaine français Avant la nuit
mars 2020 | Le Matricule des Anges n°211
| par
Thierry Cecille
Un livre
Avant la nuit
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°211
, mars 2020.