Des fois j’aimerais qu’il y ait quelqu’un d’autre qui respire pour moi. » Des fois, la vie, faut crocher dedans et lui trouver des mots à la mesure de son chaos. Virginie DeChamplain a fait front. Elle a même mis des bourrasques et des déflagrations dans son écriture, des effluves du Saint-Laurent, des senteurs de Gaspésie, « l’air salin comme une ligne de coke ». L’auteure écrit en français mais c’est une autre langue qu’elle nous donne à lire : une baraquée, genre prête à la bagarre, genre ce que j’écris je le pense, le défends ; ce que j’écris, c’est ma douleur et mon espoir. Une langue aussi rude qu’elle déborde de tendresse. Les Falaises, ça parle de voyage et de deuil, d’absence et de quête, de solitude et de convictions, ça parle d’amour, tout ça en québécois, autrement dit en un français vitaminé, dynamisé… un feu d’artifice d’images et de sensations bercées de silence, comme câlinées. Avec des riens de bout de phrase, la jeune Virginie DeChamplain fait valser les sempiternelles lamentations et nous soumet au vertige de la poésie : « J’ai l’automne à l’envers », dit-elle ou « J’habite à côté du monde » ou encore « J’ai une falaise au bord des lèvres », et là, on la croit, on la comprend, on la suit, ou plutôt on se colle aux basques de sa narratrice, V. Comme Virginie ? Qu’importe.
La mère de V. aimait partir, toujours, le plus loin possible : « Ça la rassurait, trouver le chaos ailleurs. S’assurer qu’on existe encore à l’autre bout de monde. » Puis un jour, le désir casse. La mère choisit la falaise. V. ne pleure pas. Elle fait face à la disparition de cette rebelle, vide la maison où elle est née, une maison où « la porte n’est jamais barrée », « où rien ne bouge, sauf les morts ». Elle ouvre grand les fenêtres pour ne pas laisser « le froid dehors ». Elle se souvient des femmes de sa vie : « Je vais à leur recherche. À leur rencontre. Ma grand-mère aventureuse ma mère vagabonde. Mes insoumises. Je me sauve, dans tous les sens. »
Se sauver, ce n’est pas seulement se raconter, parler de la perte, de la solitude, se sauver pour Virginie DeChamplain, c’est utiliser les mots comme des percussions, inventer des grondements, des souffles, des murmures, donner rythme et apaisement à sa narration. Quand V. lit les cahiers de sa grand-mère, c’est pour mieux appréhender sa sauvageonne de mère, mieux s’appréhender elle-même. « Valeureuse descendante de ces femmes-fleuves, j’ai des souvenirs qui m’appartiennent pas. » Pas de négation comme pour enfoncer le clou : Virgine DeChamplain est dépositaire d’une galaxie de femmes, de leurs souffrances comme de leurs espérances. Écrire, c’est redonner vie, c’est aussi s’amouracher d’une fille à la chevelure de renarde, si belle qu’elle donne « le goût de pleurer ». Si ce n’est pas de l’amour ça…
Martine Laval
Les Falaises
Virginie DeChamplain
La Peuplade, 216 pages, 18 €
Domaine français Le grand dehors
mars 2020 | Le Matricule des Anges n°211
| par
Martine Laval
La toute jeune écrivaine québécoise réinvente le récit d’apprentissage. Et signe un premier roman truffé de vitamines du bonheur.
Un livre
Le grand dehors
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°211
, mars 2020.