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Domaine étranger Quand le Barba rit…

juin 2020 | Le Matricule des Anges n°214 | par Dominique Aussenac

Entre mythe vérolé de l’innocence infantile et violence de nos sociétés, s’ébroue le nouveau roman d’Andrés Barba. Pernicieux, somptueux.

Qu’une société soit effrayée par ses propres enfants n’augure rien de bon ! Les États-Unis ont découvert dans les années 70, du Flower Power au meurtre de l’actrice Sharon Tate par la secte de Charles Manson, que la jeunesse pouvait mettre cul par-dessus tête les valeurs fondatrices d’une nation. Sortirent une flopée de films d’horreur où les enfants possédés ou pas incarnaient les forces du mal. Que la prétendue innocence originelle de l’enfance puisse être niée remet tout en cause – le vivre-ensemble, la famille, la société, le présent – et hypothèque l’avenir. Pour Freud, le jeune enfant est un pervers polymorphe. Qu’ont pu être les premières années d’Andrés Barba, né en 1975, pour que l’enfance soit le territoire d’une telle prégnance, d’une telle toxicité ? Ce fils de bonne famille, père prof de littérature, lui-même enseignant les lettres à l’université de Madrid, auteur de six romans, écrit sur l’ambivalence, l’ambiguïté des comportements, des sentiments, des représentations. « Nous sommes tous des monstres glorieux habillés d’une veste et d’une cravate et de vêtements de soie » nous confiait-il en juin 2018. Pour lui, l’enfance est une période onirique, cruelle, favorisant des rituels et expérimentations barbares et générant une forme de virginité sans tabou, une socialisation proche des peuples premiers… Les Petites Mains (Christian Bourgois, 2018), tiré d’un fait réel, relate les étranges attouchements auxquels se livraient les mioches d’un orphelinat de Rio de Janeiro, la nuit, dans les années 70. Août, octobre (id.) évoque le viol collectif d’une adolescente trisomique par d’autres congénères.
Une République lumineuse se déroule dans un pays imaginaire, tropical, proche du fleuve Amazone. San Cristobal, en 1994, ville de 120 000 habitants, coincée entre un Rio Eré large de quatre kilomètres et une jungle, un tantinet plus lumineuse, moins moite et impénétrable que celles de Joseph Conrad. Le narrateur, sans être alcoolique, s’avère rongé de remords, à l’instar du héros d’Au-dessus du volcan de Malcolm Lowry. Chargé des affaires sociales, il est confronté à des enfants des rues qui de mendiants se muent en assassins déconcertants. Chez les autorités locales, deux conceptions se neutralisent. La première inclut un traitement social. L’autre, une surenchère de motivations et de procédés extrêmes pour les éliminer. Les enfants disparaissent. Mais pas qu’eux ! Ceux des classes moyennes, comme fascinés par un joueur de flûte tropical, ne tardent pas à les rejoindre.
Mais où ? Le fonctionnaire réussit à capturer l’un d’entre eux, à le faire parler après de longues privations de sommeil. Torturer un enfant n’est pas chose facile et vingt ans après il perçoit toujours les effets de cette malédiction. Si la voix du narrateur peut être perçue comme empreinte de nostalgie et de mélancolie, d’autres apparaissent plus incisives. Celle d’une députée que l’ambition et la haine aveuglent comme si ces deux sentiments ne pouvaient que fusionner. Le mutisme et les regrets d’un directeur de journal, acculé à la censure. La gestion populiste et imbécile du maire local. Des commentaires, documentaires journalistiques, scientifiques, glamours des événements dans leurs contingences passées, présentes et futures créent une profondeur de champ, mythifiant tout en démystifiant. Mais c’est une mise en abyme, la retranscription du journal d’une adolescente, Teresa, des années après les faits qui permet de traduire le langage de ces enfants, inconnu jusqu’alors, et de décrire la fascination qu’ils exerçaient sur les gosses des classes moyennes. « Alors, tu penses à toutes les choses que tu as et pas eux, et aux choses que tu fais et qu’ils ne peuvent faire. Parce qu’ils n’ont pas de maison. Ni de quoi manger. Ni de lit. Et comme ils n’ont pas ces choses ils dorment les yeux ouverts pour ne pas avoir peur. Et ils entrent en toi. Et tu es en eux.  » Voici un grand roman qui ébranle, boulègue. Pas seulement le lecteur. Notre monde !

Dominique Aussenac

Une république lumineuse, d’Andrés Barba, traduit de l’espagnol par François Gaudry, Christian Bourgois, 194 p., 18

Quand le Barba rit… Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°214 , juin 2020.
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