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Poésie Des baies de cendres sans y penser

septembre 2020 | Le Matricule des Anges n°216 | par Emmanuel Laugier

Nouvelle traduction de l’un des plus célèbres livres de John Ashbery, Autoportrait dans un miroir convexe se joue de l’art de l’ekphrasis pour exposer une méditation sur la représentation entre le visible et le lisible.

Autoportrait dans un miroir convexe

Il est exceptionnel que le livre d’un poète contemporain étranger se voit traduit une seconde fois : c’est le cas d’Autoportrait dans un miroir convexe, paru en version bilingue en 2004 (traduit par Anne Talvaz, aux éditions La Feugraie). C’est au titre atteint de classique que l’on suppose la nécessité de cette retraduction, le livre éponyme d’Ashbery étant devenu, en 1975, l’opus phare de l’œuvre ashberyenne (prix Pulitzer) et de la nouvelle poésie américaine. Ceci dit, Autoportrait dans un miroir convexe n’est pas le livre le plus emblématique d’Ashbery (1927-2017), mais un tour de force exceptionnel, le recueil s’achevant par un long poème de 552 vers, réécriture fantasmatique du tableau éponyme du Parmesan, par quoi Ashbery tord l’art de l’Ut pictura poesis de la tradition horatienne. Ce n’est certes pas la première fois qu’une telle torsion est faite au poème, contraint ou libre (Ashbery est un maître de la reprise des grandes formes fixes : sonnets, canzone, sextine, pantoum), notamment lorsque celui-ci s’appuie et s’arrache en une impulsion qui lui est propre à la peinture classique ou moderne. Il faut rappeler ici un point de formation du poète américain : celui-ci fréquente assidûment les cercles de l’art, notamment ceux de l’école dite de New York, de l’action painting (Pollock) à l’expressionnisme abstrait (de Kooning, Still, Rothko), ainsi que les poètes proches tels que Frank O’Hara, James Schuyler, Kenneth Koch. Il deviendra d’ailleurs, durant son séjour à Paris (1955-64), critique d’art pour Art News et Art International. L’art pictural traverse donc son œuvre entière.
Explicitement convoqué il devient dans l’entrelacs et le tissage des poèmes, le chant tacite d’une écriture méta-textuelle, spéculaire, voire kaléidoscopique. Le jeu des leurres, l’entrecroisement d’une autobiographie fantasmée à celle (réelle ?) qui poudroie d’indices énigmatiques ses poèmes (souvenir d’une phrase d’un ami, paragraphe lu dans un journal, bribes de faits historiques, etc.), la réflexion in progress sur l’art poétique, le langage et la langue, ainsi que les décrochages prosaïques qui opèrent entre eux, composent le vaste puzzle de cette « peinture sur soi » que réalise Ashbery sur lui-même. On pourrait penser ici au héros de Pierrot le fou (Jean-Luc Godard), visage tout peinturluré de bleu, Ashbery revêtant l’habit arlequin « du poète en peintre ». Mais ce comparatisme conduit Ashbery à juger de l’acte poétique comme d’un geste précaire, marginalisé, invisible, voire inconséquent quant à la volonté de vouer sa vie entière aux signes. La décision d’écrire, dès ses 15 ans, et son endurance, constituent pourtant et puissamment son « jour d’honnêteté générale » (Some trees, 1957).
Parmi les trente-cinq poèmes d’Autoportrait dans un miroir convexe, où s’invente un lyrisme critique très fin, « Pressentiment » pacifie quelque tourment : « Dans le ciel là tout haut, au-dessus des marquises. Je vois juste/ Que j’ai envie que ça continue, sans causer/ De mal à personne, de reprendre/ En traînant les pieds mon chemin, accoté à la nuit ». Ces dérèglements, savamment orchestrés, constituant non pas, comme il a été dit, tout l’art de l’évitement d’Ashbery, mais actent celui du trompe-l’œil, et avec lui, toute une réflexion sur les prétentions de l’identité, ses masques, ses jeux de dupes et sa maldonne. C’est que le poème ashberyen, s’il se reconnaît parmi mille par sa façon d’articuler des contextes opposés, par la diversité des inflexions internes au poème, cherche toujours, dans le jeu de sa réputation d’illisibilité, à « restituer avec la fidélité la plus infidèle la nature profonde de son identité » (Antoine Cazé). La matière autobiographique de ses livres n’a ainsi de sens que parce qu’elle est recherche d’une syntaxe unique que l’Autoportrait dans un miroir convexe inflige au poème comme rarement il aura été fait dans la poésie américaine : « On se trouve confiné,/ Tamisant le soleil d’avril à la recherche d’indices,/ Dans la pure quiétude de son doux/ Paramètre. La main ne tient plus la craie/ Et chaque partie du tout se détache  ».

Emmanuel Laugier

Autoportrait dans un miroir convexe
John Ashbery
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Alferi, Olivier Brossard et Marc Chénetier,
postface de Marc Chénetier,
Joca Seria, 146 pages, 25

Des baies de cendres sans y penser Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°216 , septembre 2020.
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