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Domaine étranger Implosion domestique

octobre 2020 | Le Matricule des Anges n°217 | par Dominique Aussenac

Avec ce quatrième roman, la Portugaise Maria Dulce Cardoso filme la libération d’une femme au cœur même de son foyer. culpabilisant et haletant périple.

Eliete, la vie normale

Il y eut Elise ou la vraie vie, roman de Claire Etcherelli paru en 1967 chez Denoël, porté à l’écran. L’actrice Marie-José Nat y incarnait un très bouleversant portrait d’ouvrière éprise d’un Algérien, à Paris, pendant les événements. Eliete, sous-titré « la vie normale », évoque un autre parcours féminin. Mais entre une vraie vie et une vie normale où se situe la différence, et quelle est-elle ? Une question d’âge, d’époque, de passion, de soif de liberté, de contrée ? Le déracinement, le fait d’être laissée pour compte, Dulce Maria Cardoso connaît. Elle fut en quelque sorte émigrée dans son propre pays, le Portugal où elle naquit en 1964 dans le Tras-os-Monte, la région la plus au nord. Une enfance passée en Angola, elle sera rapatriée dix ans plus tard à la suite d’une autre guerre d’indépendance. Dans son précédent ouvrage, Le Retour (Stock, 2014), elle évoque cette période où le Portugal découvre simultanément la liberté grâce à la révolution des œillets, fin de quarante années de dictature, et l’essence d’une nouvelle saudade avec la perte des derniers fragments de l’Empire. Ce qui dorénavant fera du Portugal, un singulier oxymore, un ex-grand petit pays dont Maria Dulce Cardoso aime à raviver l’Histoire, mais aussi les couleurs, la singularité, les contradictions. Elle en fait la toile de fond de ses récits où vies intimes et grands événements s’interpénètrent comme si des contre-épopées naturalistes, dépourvues de lyrisme s’invaginaient dans la grande.
Avec ce premier volume d’une trilogie, le passé putatif déboule dans le roman, sous une forme pour le moins inattendue. António de Oliveira Salazar, despote hiératique, à la longévité exceptionnelle, se trouve réinjecté dans le flipper fictionnel quarante-deux ans plus tard, l’âge d’Eliete, héroïne et narratrice. Elle est née et vit près de Cascais, station balnéaire et port de pêche, à la fois moderne et anachronique, un charme désuet et vif, typiquement lusitanien, sis aux pieds de Lisbonne. À 5 ans, elle perd son père, militant révolutionnaire, dans un accident de voiture. Elle vivra un temps avec sa mère qui agence des robes de mariées, chez sa grand-mère paternelle. Des années plus tard, l’aïeule perd la tête. Eliete l’accueille alors dans son foyer qui comprend deux grandes adolescentes en voie d’émancipation et un mari négligent. Elle travaille pour une agence immobilière et fait visiter à longueur de journée maisons et appartements. Quatre vies de femmes vont ainsi se confronter entre tradition et modernité.
Le Portugal, qui a repris des couleurs grâce aux subventions et aux retraités de toute l’Europe qui s’y installent, est en train de gagner en grandeur et de rentrer à nouveau dans la légende. Eder vient de marquer ce but contre la France, en finale de l’Euro 2016 de football. Au milieu de l’allégresse générale, Eliete fait le point sur sa vie. « Sur la pelouse, le drapeau géant du Portugal voletait au vent, les joueurs étaient dûment alignés, la coupe brillait plus qu’un trésor antique, j’ai remarqué que Milena avait les poils hérissés, Jorge s’est tapé plusieurs fois sur la poitrine pendant l’hymne, et mamie a remué les lèvres comme si elle le chantait pour elle. J’avais l’air d’une espionne qui les observait, peut-être que j’allais réussir à les imiter, que l’imitation déclencherait en moi la ferveur que je voyais en eux. Mais rien. » Depuis sa plus tendre enfance, elle se sent fabriquée pour être femme. Un être qui doit toujours avoir honte de ses actes contrairement aux garçons. Elle étouffe dans le statut que la société lui impose. Qu’est-elle ? Une mère sans rêve ni désir dans une famille où elle se sent de plus en plus seule. Alors pendant que tout le monde se réjouit de la victoire de l’équipe nationale, elle s’invente une nouvelle identité. Devient Monica sur Tinder où elle s’amuse à séduire virtuellement. Mais le jeu fictionnel l’entraîne rapidement dans une réalité brute, assez sordide de chambres d’hôtel, face à des hommes médiocres.
Rencontrera-t-elle un être différent ? Et quid de Salazar ? Un document tenu secret énonce une étrange filiation. Les prochains tomes nous la révéleront certainement, mais ce premier volume se suffit à lui-même. « Moi, je suis moi et que Salazar aille se faire foutre. » L’écriture assez drue, parfois torrentielle – l’absence de ponctuation des dialogues renforçant cet effet –, le côté introspectif, dénonciateur, l’investigation d’un quotidien somme toute banal, la culpabilité de l’héroïne et la maturation de son ressentiment favorisent le sentiment que le roman est la résultante d’une immense saturation, d’un trop-plein détonant et qu’il n’a pu être écrit que d’une seule traite. Ce qui est évidemment loin d’être le cas.

Dominique Aussenac

Eliete
Dulce Maria Cardoso
Traduit du portugais par Aurélie Dupau
Chandeigne, 344 pages, 22

Implosion domestique Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°217 , octobre 2020.
LMDA papier n°217
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