Les livres, on ne le hurle pas assez ou à tort, renferment d’ahurissantes boîtes de Pandore. Impossible de trouver meilleure drogue, meilleur ferment de connaissances, meilleur démultiplicateur d’émotions, d’expériences, d’existence(s) que ces contenus libérés, mélange de fictions et de réel qui vibrionnent dans nos têtes, explosent, font évoluer les perceptions, les représentations, les conventions… Il en est ainsi d’Un hiver à Wuhan, difficilement dissociable de Chroniques d’une station-service (Verticales, 2019), deux volets d’un diptyque écrits par un Jedi armé d’un sabre à « haïkus caustiques ». Né à Bordeaux en 1974 « dans une piscine de livres de science-fiction », cet amoureux de la Chine fut à la fois pompiste en France, responsable qualité de produits fabriqués en Chine, avant d’être nommé attaché culturel à Wuhan à l’automne 2019. S’il célèbre la station-service comme un non-lieu, il décrit celui des origines de l’épidémie mondiale : « Une mégalopole posée sur un nuage de particules fines, au centre de nulle part. LE GOTHAM CITY CHINOIS. »
Avec Chroniques d’une station-service, qu’avez-vous voulu faire ?
Un manifeste littéraire ! Presque : une insurrection. D’abord : l’écriture par fragments. Ne pas être esclave de l’intrigue. Faire de l’ellipse l’hélice du récit. Détacher les mots, les phrases. Les mettre en suspension. Faire éclater des bulles de poésie. Surfer sur et avec l’absurdité du monde : mon cheval ailé.
Ensuite : une tentative d’un épuisement d’un non-lieu. Explorer le non-dit du non-lieu. Pervertir sa fonction initiale. En faire le lieu de tous les possibles. Le carrefour de toutes les fictions. Remettre l’ironie, seule résistance avérée au monde, au centre du jeu littéraire. Ressusciter le cynisme joyeux et aboyant. Ce que j’appelle, le sous-réalisme. Faire de la fin du monde qui arrive, une comédie cocasse, joyeusement désespérée. Bref : ce qui m’anime et m’agite, m’agite et m’anime, c’est l’oulipoésie.
Pourquoi écrire sur un non-lieu ?
Le non-lieu : rouage d’un monde néo-libéral qui façonne, déshumanise et détruit l’espace au nom d’un dogme : la consommation. Parkings, aires d’autoroute, hangars désaffectés, zones industrielles, échangeurs, motels, supermarchés… : pas seulement anthropologie de la surmodernité mais aussi symptôme du vide, de notre vide intersidéral. Aussi, je voulais rendre visible l’invisible : l’invisible fait écran, l’invisible muté en écran déformant du réel, de la folie de notre monde. Réenchanter cet écran. Miroir de la marge. Le saupoudrer de paillettes romanesques.
Un hiver à Wuhan, c’est quoi ?
Un bonbon acidulé. À la fois poème punk, reportage gonzo et guide de voyage dans la Chine industrielle. Un guide d’incompréhension de notre monde. Ou guide de non-voyage. Un dictionnaire de la catastrophe. Une plongée en apnée dans l’absurde et la dystopie. Celle qu’on vit. Celle que la Chine préfigure (défigure ?) depuis plus de trente...
Entretiens Hiver nucléaire
novembre 2020 | Le Matricule des Anges n°218
| par
Dominique Aussenac
En deux ouvrages, Alexandre Labruffe dévoile par des nano-récits la fin de notre monde. Cauchemardesque, toxique, burlesque aussi.
Un auteur
Un livre