Le Tripode poursuit son travail de récupération d’un des grands écrivains argentins du XXe siècle avec cette nouvelle édition de Les Nuages, troisième et dernier des romans « historiques » de Juan José Saer, publié en 1997. Si l’on emploie ici les guillemets pour qualifier ce roman d’historique, c’est parce qu’il s’agit, comme souvent chez l’auteur, d’un récit « encadré » se présentant sous la forme d’un manuscrit découvert par l’un de ses personnages récurrents, une manière de déjouer les pièges de tout exercice de reconstitution du passé. Puisque tout roman, même ou surtout quand il est historique, est une fiction, autant en profiter pour que cette fiction soit elle-même une fiction dans la fiction. Le manuscrit en question aurait été écrit par un médecin qui, trente ans après les faits, entreprend le récit de son voyage à travers une pampa non encore « civilisée » pour convoyer cinq fous de la ville de Santa Fe jusqu’à une clinique de Buenos Aires. La traversée a lieu en 1804, peu de temps avant l’indépendance du pays, une époque flottante qui sied on ne peut mieux à un récit qui inspecte la délicate limite entre raison et folie. Le sujet n’a rien d’étonnant chez un écrivain qui s’est toujours passionné pour la matérialité du réel, limite infranchissable des sens et réalité illusoire ; une matérialité que le vide de la pampa, cet horizon qui n’en finit jamais, semble incarner ironiquement. Cet espace qui, à force d’être ouvert à tous les vents semble ne plus en être un, a de quoi, certainement, rendre fou ou, du moins, rendre encore plus déments ceux qui ont déjà un grain. La petite troupe bigarrée que dirige notre médecin en est l’illustration et connaîtra quelques mésaventures racontées dans le style toujours impeccable et hypnotique de l’Argentin.
Guillaume Contré
Les Nuages
Juan José Saer
Traduit de l’espagnol (Argentine) par
Philippe Bataillon, Le Tripode, 224 p., 19 €
Domaine étranger Les Nuages de Juan José Saer
novembre 2020 | Le Matricule des Anges n°218
| par
Guillaume Contré
Un livre
Les Nuages de Juan José Saer
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°218
, novembre 2020.