Son chat s’appelle Willis et ce n’est pas une chatte. À Courbet, la plus célèbre dessinatrice de presse du monde arabe préfère Jossot (1866-1951), Gustave de son prénom, grand caricaturiste et fervent anti-clérical, qui séjourna en Afrique du Nord, particulièrement en Tunisie, où il est enterré. Willis est l’avatar de Nadia Khiari, née en 1973, enseignante à l’école des Beaux-Arts de Tunis : une créature insolente, un matou à l’humour vache ou au rire potache, qui croque à belles dents barbus et politicards – les deux allant très bien ensemble, aïchk/merci.
10 ans et toujours vivant ! raconte la révolution politique, qui a éclaté un soir de janvier 2011, chassant le président Ben Ali du pouvoir, et qui continue jusqu’à aujourd’hui sa course pas si folle. Les déçu.e.s et les enragé.e.s de cette révolution ne manquent pas, comme l’ont montré les émeutes et les manifestations du mois dernier, dans les villes de centre de la Tunisie et les banlieues de la capitale. Mais on a entendu les cris de ces manifestants, on les a commentés – ce qui semble presque une victoire, si l’on veut bien considérer le silence de mort, quand ce n’est pas la mort tout court, que les dictatures imposent à leurs opposants en Égypte, en Syrie ou au Yémen.
Le chat Willis épingle, non sans férocité parfois, les présumés dirigeants du pays. 35 % des jeunes sont au chômage ? « Qu’ils vieillissent. Vite », répond, impassible, l’actuel locataire du palais de Carthage, le président Kaïs Saïed, surnommé Robocop, « en raison de son élocution très saccadée et de son visage inexpressif ». Ses prédécesseurs, Béji Caïd Essebsi ou Moncef Marzouki, qui ont, chacun à sa manière, pactisé avec les islamistes d’Ennahdha, en prennent également pour leur grade. Certes, comme Plantu le souligne, admiratif, dans sa préface (dessinée) du livre, il y a quelque chose de Louise Michel dans ce drôle de Willis. Mais il ne faut pas croire que Nadia Khiari – membre du réseau Cartooning for peace et lauréate de plusieurs grands prix internationaux, dessinatrice pour Siné mensuel et Courrier international – soit une « éradicatrice » pur jus. Elle est Tunisienne, donc lucide et souvent perplexe… Dieu merci ! « La Constitution est à notre image : schizo ! », s’écrie, en 2014, un Willis à moitié barbu et à moitié glabre, « recto démocratie, verso théocratie ». C’est là toute la force de ce subtil greffier, dont on devine que, vivant à Tunis, il entend y rester : Nadia Khiari ne s’est pas « trompée de société », elle l’aime et la dessine, au fil de l’actualité. Dans ce qu’elle a de meilleur et malgré ce qu’elle recèle de pire. Ce n’est pas un hasard si sa signature accouple le nom de Willis au croissant et à l’étoile du drapeau tunisien !
Battante, caustique, joliment colorée, cette chronique d’une révolution inachevée permettra aux retardataires de réviser leur histoire tunisienne, d’en mesurer l’universalité – tout en riant ou souriant, ce qui, par ces temps sombres, est vraiment bon à prendre.
C. S.
10 ans et toujours vivant !
Willis from Tunis
Elyzad, 298 pages, 27 €
Textes & images Tunisie mon amour
février 2021 | Le Matricule des Anges n°220
| par
Catherine Simon
Chronique d’une révolution inachevée, croquée par un matou insolent.
Un livre
Tunisie mon amour
Par
Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°220
, février 2021.