Comme ses contemporains Tchekhov et Tolstoï, l’auteur serbe Laza Lazarevic (1851-1890) a fait de la nouvelle son genre de prédilection. Pas aussi prodigue que ses illustres homologue, l’écrivain-psychiatre n’en raconte pas moins avec réalisme le quotidien âpre de ses concitoyens. Face à l’adversité, ses personnages s’en remettent à la solidarité villageoise. Ainsi, « Au puits », qui relate l’arrivée d’une mégère dans un clan soudé, érige en maître rusé un patriarche confronté à l’éclatement de sa tribu. Une autre nouvelle suit la lente déchéance d’une famille dont le père succombe au démon du jeu. Laza Lazarevic gère admirablement la tension dans ces contes moraux. Il joue avec les nerfs du lecteur et, à la russe, n’hésite pas à faire vibrer la corde lyrique, voire mystique. Les cloches orthodoxes élèvent les cœurs : « Leur son atténue la douleur et le chagrin, brise les liens de la vanité et l’âme contrite converse avec le ciel ». « L’icône de l’école » s’intéresse à un pope vieillissant, veuf et rongé par le chagrin. Père d’une fille qu’il adore, il confie son éducation au village avant de l’envoyer à la ville. Pour le peintre de la vie rurale, la nouvelle doit avant tout divertir, ainsi ce récit enlevé et rocambolesque où l’on tire force coups de fusil pour se défendre des bandits, avec l’incontournable belle dont il faut sauver la vie. Mais divertir n’est pas abêtir et Laza Lazarevic n’oublie jamais de se montrer critique. Le contexte historique est omniprésent : la guerre, l’empire, l’ennemi ottoman planent sur ces tableaux domestiques. La traduction d’Alain Cappon rend les phrases alertes. Garder les termes originaux ancre le texte dans sa langue. Il n’y a plus qu’à découvrir ce que signifient opanka, petrahilj ou encore zadrouga, que de courtes notes explicitent.
Franck Mannoni
Au puits, scènes de la vie serbe
Laza Lazarevic
Traduit du serbe par Alain Cappon
Ginkgo, 160 pages, 9 €
Poches Au puits
février 2021 | Le Matricule des Anges n°220
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°220
, février 2021.