C’est l’histoire banale d’une liaison de quelques mois dans les étages d’un journal qui ne se vend plus bien. » Si le titre pouvait porter à confusion, et laisser entrevoir une intrigue mêlant rapaces, espaces naturels et écologie, le lecteur est très vite détrompé. Il s’agit donc d’un récit à caractère passionnel – qui plus est « dans sa forme la plus répandue et tragique : l’adultère avec profond désaccord sur les développements souhaitables ». La narratrice, une jeune mère de famille de deux enfants en bas âge, a rencontré son compagnon à la rédaction où elle travaille. Igor, un homme de vingt ans son aîné, venait alors de perdre brutalement son épouse. Elle a su le consoler. Leur relation, déséquilibrée par cet écart générationnel, ancrée dans la perte, a pourtant jusque-là fonctionné. Même si avec le recul la jeune femme avoue avoir « longtemps eu l’impression d’être une offre thalassothérapie spécial deuil », elle s’est peu à peu fait adopter par les grands enfants d’Igor, et deux bébés leur sont nés. À présent, la voilà, la trentaine à peine entamée, à partager son quotidien avec un cinquantenaire un poil casanier, pris de passion pour les recettes sophistiquées et le bien-être familial. Dévouée, maternelle, professionnelle, elle passe son temps à courir.
Ce rythme binaire – se rendre au travail, se précipiter au chevet de ses enfants – bascule quand elle tombe sur Joseph, directeur artistique au sein de son journal, au hasard d’un pot quelconque. Ils parlent de Boulogne-sur-Mer. Ils se revoient. S’ensuivent des mois de relation fiévreuse, animale, bancale et douloureuse. Au début, l’onde de choc est phénoménale. « Il voulait être un drone pour me suivre dans les rues de Paris. (…) Il avait lu tous mes articles, même ceux sur la ménopause. Il partait à ma recherche sur Internet, comme si j’y habitais. » Les hôtels crapuleux, les textos risibles, les fêtes déguisées, tout cela s’enchaîne à la vitesse de l’éclair. Rapidement, un trait de caractère non négligeable de Joseph se profile : la lâcheté. Son incapacité à s’impliquer. Son projet d’enfant avec sa compagne. Ses phrases fuyantes. Ses incertitudes paralysantes. Tant et si bien que la narratrice finit par perdre tout contrôle sur elle-même, pendue à ses messages et à ses envies – se sentant « comme un chien drogué abandonné sur le bord de la route après avoir traversé l’Espagne à l’arrière d’un go-fast ».
La Trajectoire de l’aigle est donc le compte rendu d’une liaison extraconjugale somme toute commune, intense et intime. Sa chronologie, à savoir le coup de foudre (« Dans les airs »), la relation fusionnelle (« Le nid »), le délitement (« La cage ») et la libération (« L’envol »), est relatée avec une sorte d’urgence, comme si son écriture répondait à une nécessité brûlante. Car ce qui porte l’histoire de Nolwenn Le Blevennec, ce sont bien ses phrases pleines d’autodérision, tout à la fois épurées et ancrées dans le réel. Elles dessinent le portrait d’une femme tour à tour brillante, naïve, battante, déchirée et contradictoire – « il faut imaginer le tremblement cumulé des mains de tous les pensionnaires d’un EHPAD pour comprendre ce qu’il se passait à l’intérieur de mon corps » –, que les mots sauvent de l’échec amoureux. Et c’est ce sauvetage littéraire, dans ce qu’il a de plus désespéré, exceptionnel et amer, qui est le véritable objet de ce premier roman prometteur.
Camille Cloarec
La Trajectoire de l’aigle
Nolwenn Le Blevennec
Gallimard, 164 pages, 16 €
Domaine français Liaison dangereuse
février 2021 | Le Matricule des Anges n°220
| par
Camille Cloarec
Le premier roman de Nolwenn Le Blevennec, La Trajectoire de l’aigle, frappe par son ton. Quand les mots sauvent de l’échec amoureux.
Un livre
Liaison dangereuse
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°220
, février 2021.