Chasseur de l’étrange, réaliste de l’imaginaire, Mandiargues le Magnifique (1909-1991) est l’auteur d’une œuvre inclassable et d’une étonnante liberté. Poète, conteur, romancier, « voyeur d’art » comme il aimait à le dire de lui-même, il occupe une place singulière tant son écriture explore, avec une acuité esthétique et poétique des plus rares, le langage. Une modernité et une contemporanéité qu’Alexandre Castant et Iwona Tokarska-Castant ont choisi de mettre en lumière dans Visions de Mandiargues.
Autodidacte passionné, lecteur érudit doté d’une insatiable curiosité, Mandiargues fusionne de multiples influences pour les sublimer dans des œuvres parfaitement originales. Du surréalisme, il se réapproprie les conceptions du rêve, de l’étrange et du merveilleux et l’adapte à son univers d’images, de mots et d’imaginaire. Persuadé que tout est théâtre, que nous sommes à la fois les acteurs et les spectateurs de notre propre existence, il organise ses récits comme un véritable spectacle. Du baroquisme il retient l’excès, l’outrance, le paroxysme, l’ostentation, la façon dont des formes contraires se conjuguent. Il aime ce monde d’apparences où tout n’est que voir, théâtre, miroir dédoublant la réalité, la révélant, la construisant dans les reflets et l’illusion. Le baroque mandiarguien, ce trompe-l’œil qu’il impose au lecteur, entre plastiquement en résonance avec des œuvres contemporaines qui « théâtralisent l’espace mental du rêve, jouent de la spécularité narrative des miroirs, bouleversent le haut et le bas, l’envers et l’endroit, l’intérieur et l’extérieur dans une démesure, aussi, des corps, de la chair, des organes, du sang, des humeurs ».
L’image, entendue dans sa dimension artistique et plastique comme dans son acception rhétorique et stylistique, irrigue son écriture. Voir, regarder, observer, devient une technique narrative. Sans cesse Mandiargues est en quête de « passages » entre le mot et l’image, le signe pictural et le signe poétique. Il détourne, perturbe des peintures de l’École métaphysique italienne (Filippo De Pisis, Giorgio de Chirico) ou de Max Ernst tout autant qu’il accorde un rôle déterminant à la photographie. Lié d’amitié dès l’adolescence avec Henri Cartier-Bresson – qu’il appelait « Le Grand Révélateur » –, il a pu découvrir avec lui le caractère énigmatique du réel et de l’image. « L’œuvre fictionnelle de Mandiargues, indépendamment de sa visualité, est aussi conceptuellement photographique ». Elle inventorie le réel, met en œuvre une poétique du visible et du lisible qui peut vite devenir « celle du regardable et de l’irregardable ». Cette érotique des arts visuels trouve son apothéose dans ses écrits sur l’art – regroupés dans les cinq volumes des Belvédère –, et un champ d’expérimentation dans le genre érotique qu’il détourne et rend irréductible aux stéréotypes. C’est l’imagerie mentale (souvenirs, songes, rêveries, visions intérieures, images traumatiques) qui devient le moteur d’une écriture qui sollicite directement l’imaginaire du lecteur, qui peut l’adapter à son propre cinéma mental.
Par-delà toutes ces relations transesthétiques entre l’image et le mot, l’écrit mandiarguien s’ouvre sur d’autres textes, s’écrit comme dans la marge d’autres textes. Saturé d’hypertextualité, il relève de la tradition postmoderne des citations, des échos et des clins d’œil. C’est que « la vérité » n’est pas son enjeu, qui serait plutôt celui d’un jeu avec la littérature, passant par les miroitements d’une langue en perpétuelle représentation.
Richard Blin
Visions de Mandiargues
Alexandre Castant et Iwona Tokarska-Castant
Filigranes éditions, 192 pages, 25 €
Essais Dans les arcanes d’un regard
février 2021 | Le Matricule des Anges n°220
| par
Richard Blin
Un essai pour montrer comment André Pieyre de Mandiargues a renouvelé ce qu’il appelait « la vieille entreprise de raconter », et combien son œuvre résonne avec les formes artistiques contemporaines.
Un livre
Dans les arcanes d’un regard
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°220
, février 2021.