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En grande surface Bruno l’Homère

février 2021 | Le Matricule des Anges n°220 | par Pierre Mondot

Sarkozy le surnommait « Bac +18 ». Convenons que le curriculum du bonhomme impressionne : normalien, énarque passé par Sciences Po, avec dans ses bagages une agrégation de lettres modernes, un mémoire sur Proust et une licence d’allemand. Tout ça pour finir, à 50 ans, avec un CDD de comptable dans la quincaillerie Castex, d’aucuns jugeront que c’est du gâchis.
Heureusement, Bruno Le Maire a pris soin de tendre une deuxième corde à son arc et démontre depuis deux décennies qu’il se joue avec autant de brio du traitement de texte que des cellules Excel : « Écrire ne fait pas partie de mes fonctions administratives, mais de mes fonctions vitales. » L’homme se nourrit de chiffres autant que de mots, mais reste lucide sur l’impuissance du langage à saisir le réel : « les doigts du verbe entrent à tâtons dans le noir du monde » (prends ça, Maurice Blanchot).
BLM a publié une dizaine de livres. Pour la plupart, de petits miroirs promenés le long de son chemin politique. Des hommes d’État, Le Ministre et Jours de pouvoir. L’Ange et la Bête, cet hiver. Un travail d’historiographe, des calepins d’aide de camp. Bruno se fantasma d’abord en Saint-Simon ou en Retz de la Ve République, avant d’opérer un glissement progressif de héraut à héros quand lui échoua le portefeuille de l’Agriculture. Ses camarades se gaussèrent du deuxième opus. Il y chantait les louanges de Villepin au moment de la crise du Golfe, mais emporté par son souffle lyrique, quittait le temps d’une phrase le registre diplomatique pour verser dans l’érotique : « Je me laissais envahir par la chaleur du bain, la lumière de la lagune qui venait flotter sur les glaces de la porte, le savon de thé vert, et la main de Pauline qui me caressait doucement le sexe. » N’allez pas non plus vous imaginer des trucs. On peut diriger Bercy sans être priapique. Bruno fut enfant de chœur (il a chanté devant le Pape) et Pauline, c’est son épouse. Laquelle, au passage, possède aussi deux cordes à son arbalète : artiste-peintre (d’inspiration Hermann Rorschach) et ex-attachée parlementaire (d’inspiration Pénélope Fillon).
Ancien membre des Républicains, il fit partie des impétrants de la primaire 2016. 2,38 %. Aïe. Sa première banane. Le charisme hélas ne s’enseigne pas dans les écoles, et Bruno se montre plus scolaire que solaire. On excusera la relation de ce souvenir personnel, mais en 3eB, Florian Lavandier avait vécu pareille mésaventure : de très loin le premier dans toutes les matières, il n’avait obtenu qu’une voix à l’élection des délégués de classe. Alors qu’il s’apprête à se mettre en retrait du monde politique pour prendre de la hauteur comme le veut la tradition, un de ses conseillers l’appelle. Il vient de consulter le projet Macron : « À quelques détails près (…) ton programme est le même ; il n’y a pas une feuille de papier à cigarettes entre vous ; tu as échoué ; il faut rebondir ailleurs. » Les deux hommes se rencontrent. Révélation. Cristallisation : « Et le poste ? Quel poste veux-tu ? me demanda-t-il. Je lui répondis : Les Finances. (…) Il se tut, me fixa de son regard bleu sur lequel glissaient des éclats métalliques, comme un lac accablé de soleil dont il aurait été impossible, sous le scintillement des reflets, de percer la surface. »
Sans surprise, le livre du Ministre se révèle assez ennuyeux. À moins de se passionner pour les eurobonds, les spreads ou les écarts de décile dans les niveaux de ratios prudentiels. D’autant que l’auteur ne nous épargne rien des détails de sa nouvelle idylle : « Cela t’allait ? me demanda-t-il. - Très bien, président. - Tu restes encore un peu ? - Oui, encore quelques minutes. - Parfait, tu me diras. » Et semble, à certains moments, victime d’hypermnésie (ou réinvente, selon l’enseignement du maître) : « Les conseillers retenaient leur souffle, son chef de cabinet se pencha pour refaire le lacet de sa chaussure. »
« La politique dans une œuvre littéraire, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert (…) ». Le Maire n’ignore pas l’adage stendhalien, mais cherche à en inverser le principe, et le moyen de produire de la littérature dans une œuvre politique. L’écrin de la collection blanche ne lui suffit pas. Aussi, en contrepoint de la pétarade, entonne-t-il des airs de flûte. Et compense par du pittoresque l’absence de romanesque. À la manière d’un filtre Instagram, il retouche les scènes de la vie ordinaire pour leur donner la majesté d’une affiche électorale : « Le bateau commençait à disparaître dans le voile de brume du bout du lac ; je posai la main à plat sur la rambarde en fer forgé du balcon, je sentis la rouille tiède et rêche dans le creux de ma paume : “Je comprends très bien John, simplement je te redis que nous ne pouvons faire cette opération sans le soutien des Japonais.” »
Il est comme ça, Bruno. Quand il caresse son chat, il croit qu’il enfourche le tigre.

Pierre Mondot

Bruno l’Homère Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°220 , février 2021.
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