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Théâtre Ce silence assourdissant

mars 2021 | Le Matricule des Anges n°221 | par Patrick Gay Bellile

Les mots de Debbie Tucker Green, dans ce violent huis clos familial, incarnent la souffrance jusqu’à l’indicible.

Trois sœurs, un frère et les parents. Une famille. Chacune et chacun nommé.e par sa fonction familiale : fille, sœur 1, sœur 2, frère, p’pa et m’man. Tout le monde est là du début à la fin, présent même s’il ne parle pas, dans un lieu qui n’est pas spécifié : un plateau nu et des chaises. Personne ne sort car tous ont part à l’histoire. Une histoire de famille, de celles qui hantent les mémoires des adultes et que l’on transmet malgré soi, tout en voulant la tenir cachée. Et comme toujours dans ces cas-là, tout se cristallise soudain autour d’une question posée par l’un des membres de la famille : la fille. Par besoin de savoir enfin la vérité pour exister vraiment, de faire remonter le souvenir de ce qui s’est passé autrefois pour trouver sa vraie place. C’est elle qui prend les choses en main pour tenter de soulever la chape de plomb qui pèse sur un passé dont on devine les contours. « Pourquoi moi ? » Sans réponse apportée à la question, il lui manque une partie d’elle-même.
Il y a ce qui est dit, peu de choses, et ce qui ne l’est pas. Ce qui reste secret, non par ignorance des uns ou des autres, mais parce que chacun l’a enfoui au plus profond. debbie ducker green, dont le nom et les titres des œuvres sont toujours écrits sans majuscules, le dit elle-même dans un petit avant-propos : « Bref, il s’agit de parler. Et de ne pas parler. Et de la façon dont ces personnages le font. » Dans une langue rapée, poncée, débarrassée de tout ce qui n’est pas strictement nécessaire, une langue réduite à l’os, une langue de la rue, violente, directe, une langue coup de poing, faite de phrases courtes, souvent inachevées ou interrompues, parfois réduites à un mot, comme si la suite ne venait pas. Mais face aux mots il y a l’absence de mots, les silences. Et les silences chez debbie tucker green sont souvent d’une grande éloquence. Car au théâtre, comment dire ce qui ne peut pas se dire, autrement que par le silence. Mais l’autrice prend soin de préciser qu’il s’agit de silences actifs : « Les acteurs doivent savoir ce que leur personnage ne dit pas à l’autre. »
Comme à son habitude, debbie tucker green empoigne son sujet, le secoue, le moleste, comme la fille secoue et moleste sa famille pour en faire sortir le jus noirâtre qui depuis longtemps pourrit sa vie. Cet inceste, le mot n’est jamais prononcé, auquel la mère a peut-être participé en choisissant la victime : « Pourquoi tu m’as fait jouer l’épouse quand j’aurais dû rester la fille ? Pasque la fille c’est ça qu’j’étais. Ca que chuis. J’étais pas toi. J’aurais pas dû m’trouver à faire c’que toi t’aurais dû faire – c’que tu voulais pas faire, hein ? Et t’aurais pas dû m’choisir pour ça. » Et la réponse, terrible de la mère : « J’ai su du départ. J’ai su dans mon ventre que tu étais mauvaise. » Mais la fille découvre que son frère a également été la victime de leur père. Que ni l’un ni l’autre ne savait, mais que la sœur, oui. Et qu’elle priait pour l’un et pour l’autre. Se rendant complice de ce qui se passait. Et que c’était peut-être le frère, le préféré.
L’autrice a su donner à l’écriture la forme de ce qu’elle raconte. En voyant l’écriture, les mots, la difficulté à dire les choses, tout simplement parce que, dites, elles aboutiraient à des destructions en cascade, le lecteur voit cette famille, ce père quasiment mutique assistant à tout cela, la mère qui se défend et tente de faire retomber sur sa fille la responsabilité de ce qui s’est passé, et les sœurs, plus faibles, qui se protègent et évoquent une enfance heureuse, pour faire front face au déluge qui s’annonce. Ce texte s’adresse directement aux émotions sans passer par le truchement de la raison. Le lecteur le ressent avant de le comprendre. C’est un texte fort qui vous trotte encore longtemps dans la tête. Comme une petite musique lancinante et terrible qui rejoint le grand vacarme du monde.

Patrick Gay-Bellile

Mauvaise
Debbie Tucker Green
Traduit de l’anglais par Gisèle Joly,
Sophie Magnaud et Sarah Vermande,
Éditions Théâtrales, 60 pages, 10

Ce silence assourdissant Par Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°221 , mars 2021.
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