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Domaine étranger Shéhérazade et la révolution

mars 2021 | Le Matricule des Anges n°221 | par Catherine Simon

Déroulant le fil d’histoires « vraies », le romancier égyptien Ezzedine Fishere donne corps et voix aux désenchantés de la place Tahrir.

Ils ont passé la nuit ensemble, après une fête. Ils se réveillent un « vendredi, 9 heures », dans le même lit. Elle a 29 ans, lui 22. Jusque-là, rien d’intrigant. C’est au moment où, après avoir échangé trois mots, ils « s’adonnent à l’acte que la justice interdit de mentionner », qu’on comprend qu’il y a un lézard. Le lézard, c’est l’Égypte : nous sommes au Caire, en 2016, sous le règne du pudibond président Abdel Fattah Al-Sissi.
Amal sort de prison : accusée d’appartenance à une organisation étrangère travaillant à la déstabilisation du régime, elle a passé un an derrière les barreaux et s’apprête à reprendre l’avion pour les États-Unis. Car Amal est américaine. Avocate, née en Égypte de parents égyptiens, ayant grandi à Washington, elle est arrivée au Caire six ans auparavant, en 2010 – un an avant la révolution. Elle croyait alors aux légendes sur « l’hospitalité égyptienne, le sens de l’humour égyptien (…) et toutes ces foutaises »… Amal est la face lumineuse et battante, malgré tout, de la nouvelle Égypte.
Ce matin-là, six ans plus tard, elle propose à son jeune amant de rester avec elle jusqu’à son départ et de lui raconter « ce qui s’est passé » durant son année de détention. « Pas l’actualité », précise-t-elle, mais « les histoires des gens, des histoires vraies ». Omar est la face sombre, sarcastique, d’une génération déçue. Sa propre histoire familiale est, à vrai dire, particulièrement chaotique. Non sans hésitation, il accepte son « rôle de Shéhérazade ». C’est ainsi que se déroulent, entre deux ébats amoureux et quelques pauses-café, les récits d’« histoires vraies » d’Égyptiens ayant participé, à des degrés divers, aux manifestations de 2011 – qui virent la chute du président Moubarak – et à tout ce qui s’ensuivit. À travers leurs histoires, c’est le drame d’un pays, prisonnier de lui-même, ne sachant comment briser le bâillon de la dictature, qui nous est raconté, avec une intelligence politique et un talent d’écriture exceptionnels.
Wael, Moheb et Tamer, assidus de la place Tahrir, sont membres d’un fan-club de football. Ils ont échappé à la répression de l’État, au lendemain de la révolution, mais ils n’éviteront pas la violence meurtrière d’une société machiste pour laquelle les stades servent d’exutoire. Tragique également, l’histoire de Hend, militante féministe, victime de la misogynie qu’elle n’a cessé de dénoncer : elle sera violée, en ordinaires représailles, par les sbires de la police. Shady et Habiba, amoureux et pieux, se sont mis eux aussi à courir les meetings. Ils verront leur romance s’achever, lors du massacre de la place Raba’a, en août 2013. Bahaa et Sherif, homosexuels, devront, quant à eux, s’exiler, après avoir subi l’opprobre et senti le silence haineux de leurs familles, de leur pays, s’abattre sur eux. Moins spectaculaire, mais féroce, est l’histoire banale de Dina. Elle a choisi, par conformisme, un mariage « de raison » avec le colonel Ayman, officier de la sécurité d’État. Son histoire sonne la fin du récit d’Omar/Shéhérazade – dont on sort étrangement ébloui.
Ces tranches de vie (et de mort) sonnent tellement vrai que, bien qu’« entièrement fictionnelles », nous assure l’auteur, elles lui ont valu d’imprévues réactions, certains lecteurs jurant que tel épisode était « le leur », d’autres ayant aussitôt saisi « de qui il s’agissait »… Publié en 2017 en Égypte, Toutes ces foutaises ne le serait plus aujourd’hui, observe le romancier. « Tout de suite après, la répression s’est abattue. Interdit en Égypte, Alaa Al-Aswany est édité au Liban ; Belal Fadl en Irak, etc. À l’image de Franco et de l’Espagne des années 1930, le régime de Sissi considère la révolution comme une souillure, une atteinte à l’authentique culture égyptienne. Rétablir l’ordre, selon ses mots, c’est éradiquer toutes les idées, tous les idéaux qui ont guidé la révolution. Il mène une guerre culturelle, une guerre totale – il ne s’agit pas de stricte répression politique ».
Né en 1966, Ezzedine Choukri Fishere, ancien diplomate, fut lui aussi un acteur engagé de la révolution. Exilé aux États-Unis, il enseigne à l’université de Dartmouth. Toutes ces foutaises est le premier de ses sept romans à être – enfin – traduit en français.

Catherine Simon

Toutes ces foutaises
Ezzedine Fishere
Traduit de l’arabe (Égypte) par Hussein Emara et Victor Salama
Joëlle Losfeld, 288 pages, 22

Shéhérazade et la révolution Par Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°221 , mars 2021.
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