En France, connaît-on Alfred, dit Al, Alvarez (1929-2019) ? Pas vraiment. Nous les premiers, soyons francs, l’avons découvert à l’occasion de cette heureuse traduction. Il paraît que cet écrivain anglais, à ses heures adepte de l’escalade, faisait l’admiration de Sylvia Plath, Roth, Le Carré ou encore Coetzee, excusez du peu. L’escalade, c’est le sujet d’Alvarez ici ; à travers un portrait de son ami Julian Anthoine (1939-1989), alias Mo, un grimpeur hors pair, qui voua sa vie à l’aventure. Son compatriote voyait et vivait l’escalade comme « un passe-temps anarchique et amusant », surtout pas comme un sport, qui implique l’idée de compétition, notion qu’il goûtait peu. Personnalité attachante que cet homme qu’Alvarez suivit parfois (non sans mal !) dans certaines ascensions. Succession d’anecdotes savoureuses, le livre raconte des expéditions risquées un peu partout dans le monde, des falaises galloises aux sommets himalayens, des Alpes à l’Argentine. Guidé par le seul principe de plaisir, Mo ne chercha jamais les honneurs, seulement les sensations et ses limites physiques, l’escalade étant « une partie d’échecs avec son corps » (être mat, ici, c’est être mort…). Le titre – Nourrir la bête – fait référence à une expression de Mo parlant de cette situation d’inconfort extrême que recherchent la plupart des adeptes de l’alpinisme. Émerveillé par ce passionné de milieux hostiles, Alvarez revient sur les exploits, les « épopées » (des désastres, dans le jargon des grimpeurs) et les expériences inattendues de Mo (ses incursions dans le cinéma comme doublure ou cascadeur, ses entreprises commerciales dans le matériel d’alpinisme…), s’attardant souvent sur la psychologie d’une discipline qui pousse l’être dans ses ultimes retranchements. Lecture faite, on aurait presque envie, à notre tour, de s’équiper en pitons, sangles et mousquetons. C’est dire si l’enthousiasme de l’auteur est communicatif !
Anthony Dufraisse
Nourrir la bête. Portrait d’un grimpeur
Al Alvarez
Traduit de l’anglais par Anatole Pons-Reumaux
Métailié, 128 pages, 18 €
Domaine étranger Voyage vertical
mai 2021 | Le Matricule des Anges n°223
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Voyage vertical
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°223
, mai 2021.