Jeune éducateur, Odéric Delachenal part à Haïti à la Caritas Saint-Antoine, un foyer de réinsertion pour enfants des rues. Mais comment nourrir ces enfants – « yeux crevés, dents cassées, cicatrices. Pirates des Caraïbes. En quelques années, la vie avait déjà laissé sur leurs corps fragiles des marques indélébiles. » – quand même les organisations caritatives censées vous soutenir, vous lâchent ? Séquence hallucinante lors d’un séminaire de l’Unicef, où le narrateur découvre un petit-déjeuner luxueux alors que les enfants et les animateurs n’ont qu’un repas par jour… Dans le monde d’Odéric Delachenal, la distance n’existe pas. Comment pourrait-il en être autrement quand les souffrances s’alignent devant vous comme autant de sombres planètes. Il veut être l’homme refuge pour son « petit peuple ». Il soutient, soigne, se raccroche à sa famille en France, à ses références cinématographiques qui parcourent le récit. Jusqu’à la fissure ultime. Il parcourt Port-au-Prince qu’un tremblement de terre vient de souffler, la ville a sombré, « le monstre béton a englouti ses proies ». Il voudrait sauver l’un, soigner l’autre. Pour les morts, il dresse un linceul de mots. Fissuré est un récit graduel, dont la narration se fragmente, où la langue se décompose, où à l’amour, à la passion, succède la rage qui ronge. Odéric Delachenal fait se répondre dans ce récit documenté et poignant, la détresse du peuple haïtien avec celle de ceux qui tentent de le secourir. Récit de l’impuissance, il est aussi un hommage à ses collègues qui prennent ces destinées en main. Quitte à disparaître eux-mêmes. De retour en France, le voilà interdit, fissuré, la peur a pris la place. Odéric Delachenal nous embarque sur ses traces, mais jusqu’où va-t-il aller ? Peut-il se perdre lui qui a tant secouru ? Un récit à la gloire du plus faible, du plus déshérité, et un premier roman autobiographique sans concessions qui signe la naissance d’un écrivain.
Virginie Mailles Viard
Fissuré
Odéric Delachenal
Métailié, 140 pages, 14,20 €
Domaine français Fissuré
juin 2021 | Le Matricule des Anges n°224
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Le Matricule des Anges n°224
, juin 2021.