Moteurs annonce le titre : « on the road / again / a plaisanté JP / la ferme / a répondu / Tommy ». On avance donc, sur la route peut-être, le paysage défile : « le ciel / se méfie de / nos grappins / l’horizon / a pris / la fuite / à la première / bretelle / de l’échangeur ». Plus loin, « l’autoroute / a fondu / sous des ponts ». Les vers sont courts, réduits à leur essence, ils forment une colonne au centre de la page comme si le poème défilait devant nos yeux sur une bande transporteuse horizontale ou comme une ligne blanche qui file droit sur le goudron. Il y a, dans ce poème-livre d’Hervé Brunaux, une idée de vitesse, de télescopages de sensations qui n’ont pas le temps de s’exprimer complètement ou sont passées trop vite : « la ligne de linge / un merle / invisible / l’air est muet / si les oiseaux / ont disparu / que nous reste-t-il / à écrire / la ligne brisée / l’heure / est venue ». Le lyrisme y est compacté, le lecteur comblera les trous et s’efforcera de voir lui aussi le paysage par la vitre : « le regard / de JP sur / le glacier / la montagne / redevenue / lourde / l’air sent / la menthe et / la charogne ». On passe d’un lieu à l’autre, d’une suggestion à l’autre, en voiture, au camping, sur le bord de la route. Ça roule, il y a des embardées et puis des pauses parfois, ce que le poème reproduit dans sa forme même : la bande transporteuse principale défile sur l’asphalte du centre de la page et quelques apartés oraux (fragments rapportés de dialogues/ blagues/plaintes/luttes entre les divers personnages) s’invitent sur la droite. Régulièrement, comme autant d’aires d’autoroute au milieu du néant, le défilement du poème s’interrompt pour laisser place à une voix plus introspective : « J’ai cherché la parole verticale. Je n’ai trouvé que la plainte du temps. Putain de jérémiade tel un fidèle acouphène. Puissions-nous redevenir. Puissions-nous. Seuls peut-être ». Redevenir ou continuer d’avancer, coûte que coûte : « il est temps / de fuir / la mémoire / il est temps / de laisser les / enfances / nues / collées / au fond / des verres ».
Guillaume Contré
Moteurs,
Hervé Brunaux
Dernier télégramme, 64 pages, 10 €
Poésie Moteurs, de Hervé Brunaux
juillet 2021 | Le Matricule des Anges n°225
| par
Guillaume Contré
Un livre
Moteurs, de Hervé Brunaux
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°225
, juillet 2021.