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En grande surface L’idiot

septembre 2021 | Le Matricule des Anges n°226 | par Pierre Mondot

Noté entre parenthèses au bas de la liste, sous l’antimoustique : roman Matricule. Celui qu’on lira dans le hamac, au fond du jardin. Parmi les rayonnages, sous la lumière crue de l’Hyper, une couverture aux couleurs fauves interpelle. L’illustration représente une voiture, garée à l’ombre d’un pin parasol et à l’aplomb d’une crique dans laquelle pataugent deux silhouettes, pantalons retroussés. Les Jours heureux, par Adélaïde de Clermont-Tonnerre. Le nom de l’auteure, rutilant décasyllabe, annihile le titre, terne. On retourne l’ouvrage : « Édouard Vian et Laure Brankovic ont formé puis déformé pendant trente ans le couple le plus terrible et le plus célèbre du cinéma européen (…). Ainsi commence une ronde, entre Fitzgerald et Schnitzler, où ces héros fantasques et attachants jouent, se cachent, s’aiment, des marches de Cannes aux studios hollywoodiens… » Fitzgerald, le cinéma, le XXe siècle, parfait. Un détour pour récupérer le répulsif et on file.
En fait, on est déçu. On espérait une histoire ancrée dans le monde d’avant, un texte avec des Simca, des cabines téléphoniques et des socialistes, mais on s’est trompé de parfum, l’action se développe de nos jours. À cette désillusion s’en ajoutent d’autres : on rêvait d’un roman à clefs, mais non, toute ressemblance des personnages avec les existants restera pure coïncidence, tant pis pour les potins. Enfin, on annonce dix jours de pluie.
C’est Oscar (le fils du couple exposé sur la quatrième) qui prend en charge la narration. Il écrit des séries télévisées, mais ça va, son boulot lui laisse un peu de temps libre : « J’ai déjeuné sur l’île Saint-Louis, rêvassé un moment sur un banc du marché aux fleurs, repris ma promenade avant de rentrer me faire beau en fin d’après-midi. » Sa copine Aurélie le sollicite pour collaborer à un long-métrage consacré à Harvey Weinstein : « Tu n’as pas ton pareil pour mettre de la tension dans une intrigue. » On veut bien discuter cet avis. Car le talent d’Oscar repose essentiellement sur deux techniques. La première consiste à claquer des mains à coup de phrases interrogatives pour maintenir le lecteur en éveil : « Ma mère parlerait-elle à mon père ? Mon père comprendrait-il qu’elle était atteinte, bientôt à terre ? » La seconde réside dans l’utilisation massive du présent. Oscar énonce tout ce qui arrive, en léger différé mais sans recul, et le récit progresse par scènes. C’est le style Go-Pro, avec l’objectif sanglé autour du nombril, parfois plus bas : « Ces quatre mains l’affolaient. Je me suis demandé si, pour elle, c’était une première fois. L’image de mon père m’est venue à l’esprit. Je l’ai chassée. Natalya était trempée. C’était à cela, et seulement à cela, que je devais penser. Ainsi qu’à des multiples de 7, pour ne pas venir trop vite. » On s’étonnerait pourtant qu’il dépasse 14 : absorbé par sa narration, le garçon supporte mal de nouvelles charges cognitives. Pour preuve, alors que le lecteur a intégré depuis cent pages que Talya, la blonde glaciale (« Comment contrôler à ce point tout ce qu’elle éprouve ? ») qui se promène avec « un matériel informatique improbable », travaille pour les services secrets russes, Oscar, lui, s’interroge : « Pourquoi les militaires l’ont accompagnée ? Qui était son contact en Russie pour qu’elle parvienne à prendre un vol diplomatique ? » Mais quel con.
À sa décharge, il est fatigué. Il partageait sa vie avec Esther, une performeuse : « Elle détournait l’image maternelle, faisait ruisseler du lait sur ses petits seins tout en dévoilant son entrejambe. » Désormais, il préfère l’oublier : « J’avais fait recouvrir d’un motif maori le tatouage de son prénom sur mon pubis. » D’autant qu’avec elle, il a « sombré dans la came » et c’est sa mère qui l’a sauvé. Ensemble, ils sont partis en Grèce, dans une maison isolée : « Il y a eu des moments très durs. Il y a eu des moments magiques. En un mois, nous avons réussi à boucler notre série sur les migrants. » Heureusement, comme dans le genre du roman d’apprentissage, on sent Oscar mûrir au fil de ses aventures : « J’avais abandonné mes a priori sur Courchevel. Les gens étaient exceptionnellement gentils et l’hôtel très confortable. » À la fin, il est même traversé d’intuitions métaphysiques assez pénétrantes : « Nous nous voulons multiples pour ne pas voir que chaque vie est une étincelle dans la nuit infinie du cosmos. »
C’est la troisième œuvre d’Adélaïde de Clermont-Tonnerre, et les précédentes furent plusieurs fois primées. Depuis 2014, elle dirige le magazine Point de vue. Tout s’éclaire. Le roman apparaît comme une déclinaison scénarisée de l’hebdomadaire. Où l’on retrouve les mêmes rubriques (gastronomie, évasion, décoration). Jusqu’aux publicités : « Nous arrosions nos plats de Tio Pepe, l’un des péchés mignons de ma mère qui aime les vins secs à forte personnalité. »
Pour caractériser ses personnages ou qualifier l’univers bienheureux dans lequel ils s’ébattent, la romancière emploie à plusieurs reprises l’adjectif « farfelu ». Avant de fermer les valises, on en vérifie l’étymologie : « de l’ancien français fafellue (sottise) lequel vient par le latin fanfaluca du grec phompholux (bulle d’air). »


Pierre Mondot

L’idiot Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°226 , septembre 2021.
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