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Essais Manuel de survie au bureau

octobre 2021 | Le Matricule des Anges n°227 | par Jérôme Delclos

Le Triestin Giorgio Voghera nous livre un art de la prudence pour éviter le burn-out, le placard, et même le travail.

Comment faire carrière dans les grandes administrations

On s’étonne de ne pas lire au fronton des administrations publiques et des grands groupes privés la formule dont Cesare Pavese fit un beau titre : Travailler fatigue. Héritiers de la Rome antique et de son culte de l’oisiveté, rompus au farniente dont ils ont inventé la chose et le mot pour la dire, les Italiens savent que le labeur intense ou prolongé, pour être de nature servile, est toujours à proscrire. Le métier de vivre, dixit encore Pavese, occupe déjà assez. Le style de Marcello Mastroianni sort entièrement de là : sa superbe nonchalance, légèrement dépressive, inapte à tout emploi utile. D’où, aussi, le succès des mafias, qui proposent à leurs affiliés même les moins vaillants d’honorables parcours d’ascension sociale, sans nul besoin pour eux de s’échiner aux études ni à des tâches trop ambitieuses. Le sociologue florentin Diego Gambetta, dans La Pègre déchiffrée, a d’ailleurs bien montré que les impératifs de la médiocrité, de l’incompétence réelle ou simulée, de l’évitement des travaux pénibles, structurent autant Cosa Nostra que… l’université italienne : exemplairement, ne jamais faire de zèle, et surtout pas de l’ombre au boss ou au directeur de labo.
L’essai de Giorgio Voghera, comme il se doit très ramassé pour n’épuiser ni l’auteur ni son lecteur, s’inscrit dans cette noble tradition. C’est un art de la prudence au bureau, dans l’esprit de Baltasar Gracián. Sous l’humour, Voghera témoigne discrètement du fascisme. Juif exilé en Palestine après la promulgation des lois raciales en 1938, il revient dix ans plus tard à Trieste, et y retrouve un poste dans la compagnie d’assurances qu’il avait dû quitter en urgence. Elle formera le décor du Directeur Général (1974) qui décrit le contexte de sa vie au travail dans les troubles années 1930, et elle fournit déjà, en 1959, l’arrière-plan de Comment faire carrière dans les grandes administrations, son premier texte, paru sous pseudonyme.
Le genre du manuel y est omniprésent, sur le mode du conseil adressé au lecteur. « Quoi qu’il advienne, rappelez-vous que tout ce qui se passe dans votre bureau est l’œuvre de votre supérieur : vous, vous n’êtes qu’un instrument entre ses mains. S’il se trompe, faites semblant de n’avoir rien remarqué ». Ou bien : « si tu es encore jeune et fort et que tu ne manques pas d’esprit d’initiative, abandonne, par pitié, le métier d’employé ». Les longs titres des sections ne sont pas sans évoquer ceux des moralistes de l’âge baroque. Ainsi de « Comment s’attirer les faveurs des dirigeants et les inciter à nous accorder des promotions ». La méthode, simple dans son principe, consiste à ne jamais contredire ses chefs, à ne jamais « les fatiguer, les irriter ou les ennuyer avec des problèmes trop complexes », en bref à toujours s’abstenir de « chercher les ennuis ». Mais, complexe dans son application, elle suppose la dissimulation des erreurs, générées par la bêtise crasse des supérieurs, leur irresponsabilité, et de façon générale l’anarchie ubuesque qui règne, sous couvert de rationalité, dans tout travail de bureau qui se respecte : querelles de pouvoir ou d’ego, championnats d’incompétence, rétention systématique des informations, nécessité structurelle de ne jamais remplacer un cadre sup’ absent : « En cas d’absence d’un dirigeant, il est strictement d’usage que tous les dossiers confiés à son bureau, y compris les plus simples et les plus courants, s’enlisent ».
L’auteur à la fin du livre exhorte son « collègue et lecteur » à se révolter contre « l’énorme pieuvre bureaucratique », et à la quitter pour un autre métier, peu importe lequel. « C’est le seul moyen de remonter dans ton estime ». Le numérique en moins (« l’abscondité des fiches perforées, des codes, etc. », déplore déjà Voghera), le livre n’a pas pris une ride. À lire d’urgence, en cachette de son N+1.

Jérôme Delclos

Comment faire carrière dans les grandes administrations
Giorgio Voghera
Traduit de l’italien par Muriel Morelli
Allia, 57 pages, 3,10

Manuel de survie au bureau Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°227 , octobre 2021.
LMDA papier n°227
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