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Poches Vamos a la playa

octobre 2021 | Le Matricule des Anges n°227 | par Jérôme Delclos

Un brillant court traité de la plage, servi par la voix proustienne de l’écrivain argentin Alan Pauls.

Entre autobiographie, souvenirs et analyse culturelle, Alan Pauls passe en revue les multiples visages d’un espace clé de la vie moderne », nous indique la quatrième de couverture de La Vie pieds nus. « Entre  » ceci et cela, comme dit l’éditeur quand il se demande sur quelle table le libraire placera le livre. On peut, en effet, situer celui-ci au croisement de la littérature et des sciences humaines. Précisons qu’il est ponctué de photos de famille en noir et blanc de Pauls enfant, et blond : « Il faut dire aussi qu’à l’époque j’étais blond, aussi blond qu’un enfant allemand blond sur une affiche publicitaire nazie, blond comme je ne l’ai jamais plus été (…) ». On l’y voit jouant sur le sable, ou s’y ennuyant sans déplaisir, surpris par l’objectif dans cette sorte de rêverie indolente que la plage favorise. « Sur la plage on rêve beaucoup », note l’incipit. Des gens dénudés, des parasols, des draps de bain, et tout ce théâtre estival sous le projecteur du soleil : l’illustration de couverture pourrait laisser croire à un « livre de l’été ». Du léger, de l’insouciant, aussitôt on l’oublie pour lancer le frisbee, ou son corps dans les vagues.
Le malentendu s’arrête là. À lui seul, le sixième chapitre, sa réfutation de la croyance dans « les mythologies érotiques de la plage » par le détour de belles analyses de scènes tirées du cinéma de Rohmer, suffit à prendre la mesure de l’intelligence du livre, bâti autour des souvenirs de Pauls comme autant d’occasions de faire fonctionner la plage comme un dispositif, propice alors à une réflexion sur l’époque et sur soi. Un attracteur étrange, une réverbération. En apparence pure, aussi lisse qu’un miroir, s’offrant dans une sorte d’évidence, la plage, nous dit Pauls, est d’abord du temps, mais du temps « impur ». Parce que « le sable est tout sauf pur. Il est fait de déchets : débris de rochers, de récifs, de coraux, d’os, de coques, de valves, de coquillages, de poissons, de plancton (…) on estime par exemple que le sable de Miami est vieux de treize mille ans  ». Qu’il s’agisse de l’histoire du bikini, de celle d’Ibiza, des paradoxes de la nudité, du sens à donner à cette chose curieuse qu’est le « modèle d’espace citoyen » que propose la plage de sable, ou du « discrédit intellectuel » dont elle fait l’objet chez les élites qui n’y voient que « la vulgarité la plus stérile », La Vie pieds nus est à lire déjà comme un essai critique très convaincant, entre ethnologie, sociologie, et histoire des mœurs.
Mais le livre appartient aussi, parce que Pauls est un grand lecteur doublé d’un styliste, à la littérature. On sait à quel point la question de la mémoire est prégnante chez les écrivains sud-américains, du fait de leur rapport à la langue, de leur histoire, de leur extranéité vis-à-vis de l’Europe qui a fait d’eux des érudits mais qui interrogent en permanence et très librement la bibliothèque. Entre autres Borges, Octavio Paz, Héctor Abad, Roberto Bolaño, chacun d’eux, à sa façon, s’inscrit dans ce questionnement parfois exacerbé encore par les blessures politiques laissées par les dictatures. Alan Pauls, quant à lui, s’est fait connaître par un livre proustien, Le Passé, dont on retrouve d’ailleurs des échos dans La Vie pieds nus. Telle « Fiat 600 », qui roulait dans le roman de 2003, revient ici comme la voiture du père, lequel un jour avait menacé le tout jeune Alan de « le ligoter avec la ceinture de sécurité » s’il ne se calmait pas. « Reste à savoir, se retourne pensivement Pauls sur son souvenir, si les Fiat 600 disposaient effectivement de ceintures de sécurité à l’arrière en 1967 ».
Dans La Vie pieds nus, Proust est présent par le récit d’un coup de foudre amoureux, survenu à un ami d’Alan Pauls dans une station balnéaire, et dont le mécanisme nous est révélé par le détour d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Mais il sera présent, surtout, à prêter l’oreille au phrasé de l’écrivain argentin, son régime des temps, sa ponctuation, en bref la belle allure proustienne du texte : « Moi, un étranger – le même qui, un instant auparavant, avait vu (…) », etc. Un grand petit livre.

Jérôme Delclos

La Vie pieds nus
Alan Pauls
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Vincent Raynaud
Christian Bourgois, « Titres », 141 pages, 7,80

Vamos a la playa Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°227 , octobre 2021.
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