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Domaine français Une traversée du miroir

octobre 2021 | Le Matricule des Anges n°227 | par Richard Blin

Niki de Saint Phalle a peint à la carabine, imposé ses Nanas à la rue. Amazone iconoclaste et révoltée, elle ne pouvait que séduire Gwenaëlle Aubry.

Saint Phalle. Monter en enfance

Cela manque d’enfance, estimait Louis XIV, d’un plan de Marly, qu’il voulait être opposé à celui de Versailles. Ce manque d’enfance, on ne saurait le reprocher au Jardin des Tarots qu’a conçu et réalisé, en Toscane, et durant près de vingt ans – de 1979 à 1996 –, Niki de Saint Phalle à qui Gwenaëlle Aubry consacre son dernier livre.
Un jardin qu’elle nous propose d’explorer pour ce qu’il est, un ailleurs dans un ici, un lieu où la distance avec l’enfance est annulée. Inspiré par l’inquiétante imagerie des peurs archaïques et le goût de la magie, il multiple de monumentales et miroitantes sculptures nommées d’après les arcanes majeurs du tarot. De La Force au Soleil en passant par La Papesse et le Magicien ou La Mort, Le Pendu et Le Fou, tout n’est que candeur et démesure, « appétit d’ogre et terreurs enfouies », insolence, joie, cruauté. Des sculptures pénétrables et même habitables, qui permettent, par exemple de monter dans la tête du Magicien ou d’entrer dans le sein de L’Impératrice, là où Saint Phalle, qui voulait « vivre dans son rêve », avait installé sa chambre à l’époque où elle avait fait de cette sculpture sa propre habitation.
Si Gwenaëlle Aubry a fait, de ce parcours initiatique d’une figure à l’autre, le fil rouge de son livre, c’est que chacune de ces sculptures code, déplace, explore les méandres d’une âme torturée, donne forme à la matière noire d’une enfance traumatisante et à la violence des démons qui habitaient Niki de Saint Phalle. Née à New York, en 1930, dans une famille de banquiers aristocrates, Catherine Marie-Agnès de Saint Phalle était promise à un avenir américain « luxueux et mortifère » – elle a d’ailleurs était mannequin de 17 à 25 ans. Mais violée, à 11 ans par son père, et maltraitée par sa mère, qui l’appelait Niki, elle s’enfuira avec Harry Mathews, épousé en 1950. Un « homme-socle » (qui deviendra, et sera longtemps l’unique membre américain de l’Oulipo) avec lequel elle vivra à Paris, à Nice, en Espagne, et à qui elle donnera deux enfants. Mais derrière la femme extravagante et théâtrale se cache une femme qui souffre et sombrera dans la dépression, tentera de se tuer, sera internée, subira des électrochocs. C’est à l’hôpital psychiatrique qu’elle découvrira l’art et se mettra à peindre.
Commence alors une nouvelle vie. Abandonnant mari et enfant – « La famille est une arène où l’on s’entredévore. » –, elle élit une autre sorte de famille, faite de morts et d’éternels, d’oiseaux-soleils, de dieux égyptiens, de déesses grecques. Toute une généalogie magique qu’elle croit retrouver auprès des naïfs, des fous, de l’art des hors-la-loi comme le Douanier Rousseau, Gaudí, le facteur Cheval ou Jean Tinguely, qui deviendra l’allié, le rival, l’amant, « l’indéfectible compagnon de jeu », et bientôt le mari. Le jeu a été leur grand lien vital, et leur première-née, Hon, « Elle » en suédois, verra le jour à Stockholm, en 1966, sous la forme d’une Nana-cathédrale de 30 mètres de long occupée à l’intérieur par les machines déglinguées, inutiles et toujours en mouvement, de Tinguely, qui se disait poète ou encore « bricoleur superlouche ». Trente ans durant ils travailleront propulsés par l’enfance, ses ritournelles et ses maquettes pour lui – il se contente d’en modifier l’échelle –, ses fêlures et son saccage – qu’elle transforme en révolte et en rire – pour elle. « Tout ce qu’elle fait reste enfantin », disait d’elle Tinguely, « elle reste un artiste primitif. »
Libre, non chronologique et non prévisible, le livre de Gwenaëlle Aubry est une sorte de kaléidoscope narratif. On va, on vient dans l’espace et le temps, et dans une œuvre dont les débuts sont marqués par le rite et par une pratique : le tir. Saint Phalle appelait ça « peindre à la carabine », « faire saigner la peinture ». En combinaison blanche, elle tire sur des tableaux-cibles recouverts de plâtre cachant des poches de peinture et d’autres objets. Un rite mêlant destruction et création, virginité et souillure, violence et jeu, sortilèges et liturgie. À cette violence rageuse et profanatoire, à ces rites de conjuration qui passent par des Accouchées et des Mariées, succéderont les Nanas, vastes, excessives, impénétrables, et plus tard les Skinnies filiformes. Une œuvre visant à conquérir les privilèges des hommes tout en gardant ceux de la féminité.
Être tout, vouloir tout, Niki de Saint Phalle créait pour se recréer. Dans son livre, Gwenaëlle Aubry joue au tarot avec elle, tout en cherchant l’enfance et l’ailleurs, « sûre que Saint Phalle en détenait les clefs ». À juste titre et avec bonheur.

Richard Blin 

Saint Phalle. Monter en enfance
Gwenaëlle Aubry
Stock, 288 pages, 20

Une traversée du miroir Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°227 , octobre 2021.
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