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Poches Queer de pique

janvier 2022 | Le Matricule des Anges n°229 | par Jérôme Delclos

L’autobiographie baroque de « la nonne-soldat » (1592-1650). Un texte transgenre à tous points de vue. Étourdissant.

À rebours de l’opinion qui prétend que les préfaces sont écrites pour ne pas être lues, celle de Sophie Rabau à La Nonne-soldat de « Catalina de Erauso » le sera de toute nécessité. Il faudrait ici des guillemets partout : au titre, au nom de l’écrivaine, à celui de José-Maria de Heredia son « traducteur », qui masque peut-être celui d’un auteur facétieux : lui-même, ou son oncle, ou Thomas de Quincey, ou un nommé Ferrer. Autre piste : Catalina a bel et bien existé, et écrit. « Dispositif étourdissant », nous dit Rabau, que cette autobiographie, réelle ou fictive, d’une nonne du XVIIe siècle. Une femme qui jette sa robe aux orties pour se vêtir en lascar et prendre épée, écumer la façade pacifique de l’Amérique du Sud où, de place en place, elle ferraille avec des hommes, les bat aux cartes, guerroie, séduit des femmes. Ou alors Catalina était un mâle mais travesti en nonne, et qui aura repris froc et bottes de cavalier au sortir du couvent ? Pourquoi pas un eunuque, glisse Heredia dans sa préface en 1894. Voire, se demandera le lecteur, un hermaphrodite comme Herculine Barbin dont Michel Foucault édita les mémoires ? Un transgenre, dirons-nous aujourd’hui ?
Se dispense-t-on de cet imbroglio, on apprécie pour lui-même un texte qui a la saveur des meilleurs romans picaresques. Mais l’on s’offrira un moment plus troublant en déclinant tour à tour les scénarios de lecture que propose Sophie Rabau, dont l’analyse – vingt pages – en emportant le livre dans un vertige interprétatif, l’invente alors avec maestria comme un objet narratif lui-même trans-genres (littéraires) en ce qu’il résiste à être fixé dans aucun. En ce sens, la préfacière rejoint la cohorte ou théorie des auteurs ou co-auteurs de Catalina de Erauso, et nous révèle à quel point son lecteur l’écrit en même temps qu’il la lit. Au moins quatre paires de lunettes : Catalina est une femme, et, avance Rabau, son texte nous dit « on ne naît pas femme, on se déguise » ; c’est un homme, or « on ne naît pas homme, on se déguise » ; c’est l’héroïne d’un roman, forgé par… (ici, encore des filtres qui colorent les verres) ; c’est plutôt un héros de roman, la preuve… etc. Allez donc vous y retrouver. Ou comme disait Céline, « Maintenant aux querelles ! »
Icône féministe et lesbienne en Espagne et en Amérique du Sud, représentée dès 1944 au cinéma, et depuis dans des romans, des BD, des mangas, La Monja Alférez – « La Nonne Lieutenante » – parle d’elle au masculin dans un livre où les titres des chapitres le font au féminin : « Elle va à la cité de La Paz et tue un homme ». Née basque de parents bourgeois, à 15 ans Catalina fugue du couvent. « Je pris à l’aventure (…). Ne sachant que faire de mon habit, je le laissais là. Je me coupai les cheveux et les jetai ». On la recherche, elle se cache, s’emploie comme page puis « comme mousse sur un galion » de l’Armada qui la conduit aux Amériques, à Araya. De là, elle embarque pour Panamá, survit à un naufrage, tient boutique à Zaña, s’y heurte avec « un quidam nommé Reyes », grand cabrón qui au théâtre l’empêche de bien voir la pièce et refuse de se déplacer. Elle voit rouge, se bricole une épée d’un couteau qu’elle fait « passer à la meule et affiler en scie », et court signer la face de l’insolent « d’une estafilade à dix coutures ». Forcément, corrida. « Nous ferraillons et je lui entrai ma pointe dans le côté gauche. Il tomba ». Pour lui éviter la prison, on lui enjoint de prendre épouse dans la famille du blessé. Elle fuit à nouveau, tue un homme à Trujillo, s’enrôle dans les guerres espagnoles contre l’Indien : « poussant mon cheval, foulant, occisant et blessant à merveille » s’éblouit-elle, elle devient alférez. Elle bourlinguera de ville en ville, occupant de variés emplois (éleveuse de moutons, enquêtrice de justice, et encore à la guerre, contre les Hollandais), et toujours faisant « tâter de la pointe » à qui lui cherche noise parfois en lui pinçant le menton où, si certes le poil y manque, Catalina n’en perce pas moins, de la rapière ou de la dague, le malpoli.
Tout le récit, insiste Heredia, « sent terriblement fort la vérité ». Un peu trop pour être vrai ? Qu’importe, le style en est vif, alerte, et bien piquant comme on l’aime.

Jérôme Delclos

La Nonne-soldat
Catalina de Erauso
Traduit de l’espagnol par José-Maria de Heredia
Préface de Sophie Rabau,
Anacharsis, 124 pages, 8

Queer de pique Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°229 , janvier 2022.
LMDA papier n°229
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