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Théâtre Fête de la musique

février 2022 | Le Matricule des Anges n°230 | par Patrick Gay Bellile

L’art, insaisissable, s’efface lorsqu’il est offert au monde. Portraits de trois pianistes, qui interrogent leur vocation et leur rapport à la création.

Ils se sont rencontrés autour de la musique. Swan, 10 ans, prend chaque semaine un cours de piano chez Sarah Stensen, la mère de Mathis. Ça ne se passe pas très bien entre le fils et sa mère. Un jour, alors qu’il attend son tour, Swan assiste au pétage de plombs de Mathis : « J’ai besoin d’un prof, pas d’un dictateur », dit-il à sa mère. Et il s’en va furieux, invitant au passage le jeune Swan à venir boire une bière chez Morel. Ils ne se quitteront plus. Plus tard, ils sont à un ciné-concert : Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein, accompagné au piano par un jeune homme, Raphaël, 14 ans, chargé de suppléer la bande-son et la musique de Chostakovitch, en panne ce soir-là. Le film terminé, impressionnés par le jeu du pianiste, ils vont le féliciter, échangent quelques propos sur la musique. Ils sont maintenant trois amis. Et la pièce va dès lors dérouler les conversations, les souvenirs, les débats mais aussi les rivalités entre ces trois-là qui, tous, envisagent au départ une carrière de musicien. L’un part à l’étranger, l’autre fait deux ans de Conservatoire, le troisième joue dans un groupe, mais au bout du compte, tous les trois intègrent une nouvelle et prestigieuse académie. Désormais ils ne se quittent plus et refont régulièrement le monde autour de questions musicales et philosophiques : « Pourquoi les fausses notes ça serait plus dangereux chez Mozart que chez les autres ? » « Tout le monde sait que l’enjeu du concert c’est pas la musique. (C’est) la sacralisation de l’interprète. » « Comment tu fais pour être l’ami de quelqu’un que tu admires ? » « Tu préfères un prof excellent pédagogue mais mauvais musicien ? Ou un très grand musicien très mauvais pédagogue ? » Les scènes déroulent les problématiques de l’art pour l’art, de la nécessité et en même temps du danger que représente la présence du public pour la sincérité de l’artiste, de l’utilité même de la musique : doit-elle consoler, accompagner ou bien heurter, mettre à bas les conventions et participer à changer le monde. Peut-on être musicien et engagé politiquement, ou bien doit-on se fondre dans la musique et devenir musique soi-même au risque de s’y perdre et d’oublier le reste : « tu joues pour atteindre quelque chose, et plus tu joues plus ça s’éloigne… » Et ce qui aurait pu n’être qu’un essai autour de l’art devient une passionnante vision d’un monde tout à la fois sans pitié par son côté concurrentiel et médiatique, et indispensable en tant qu’absolu de l’être humain.
« Je suis une sentinelle. Dressé comme un idiot, immobile, en équilibre. La frontière où je patiente sépare le monde d’un pays que je ne pourrai jamais conquérir. » C’est ce qu’a écrit le vieux professeur sur une partition qui leur sera remise après sa mort. « L’artiste n’est pas le transcripteur du monde. L’artiste est le rival du monde. » Jean-François Sivadier a choisi l’univers de la musique, mais tous les artistes sont confrontés un jour ou l’autre à ces questions. Bien sûr, la vie puis la fin de la pièce sépareront les trois amis : Swan est reçu au grand concours international de piano de Moscou et connaîtra une carrière exceptionnelle, Mathis, le plus doué, se retire à la campagne, terrassé par le succès. Pris par la musique, offert au public, il est pour ses amis définitivement perdu. Et Raphaël comprend, en écoutant jouer Mathis, qu’être un excellent interprète ne suffit pas. Il faut être la musique. Et il décide d’ouvrir une école.
Jean-François Sivadier a su rendre toute la passion des personnages pour le 4e art, tout en argumentant les théories des uns et des autres à partir d’exemples pris chez Chopin, Mozart, Debussy, ou Alban Berg. D’une écriture claire, limpide, déroulant une histoire qui nous touche par son humanité, Sentinelles est une belle invitation. L’auteur termine son texte par un extrait du Journal de Didier-Georges Gabily dont il fut très proche : « Il est si reposant de faire semblant dans ce monde de faux-semblant. Ne soyez pas ce semblant-là, si c’est possible. Évitez-le si c’est possible encore. Soyez, si c’est possible, et chacun à votre rythme, à votre force, celui qui fait le geste non reconnaissable, soyez la voix inouïe, le corps non repérable en ce temps de fausse sagesse et de vénale ressemblance. »

Patrick Gay-Bellile

Sentinelles
Jean-François Sivadier
Les Solitaires intempestifs, 160 p., 15

Fête de la musique Par Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°230 , février 2022.
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