C’est un objet encombrant, une identité. » Dans son deuxième roman, Laure Gouraige creuse cette question avec énergie, humour et esprit. Tout commence par le message d’une journaliste : « j’aimerais vous inviter à venir témoigner dans mon émission de radio du racisme anti-noir dont vous êtes victime ». Sauf que noire, la narratrice ne l’est pas et encore moins victime ! En tout cas, elle n’était ni l’une ni l’autre jusqu’à ce matin où tout bascule. Comment faire lorsque l’identité que l’on croit avoir ne coïncide pas avec celle que l’autre vous assigne ?
Au rythme du roman picaresque, la narratrice part à la recherche de ses origines. Fille d’un Haïtien, elle n’a jamais été sur cette île des Antilles qui, néanmoins, occupe une place dans son arrière-pays mental et familial. Et même si son histoire, c’est Paris et son 1er arrondissement, qu’à cela ne tienne « assez de distance avec vous-même. Vous voulez vous frotter à Haïti, au-delà de l’idée d’Haïti, Haïti, c’est vous. Vous êtes ce qui demeure après l’exil ».
De bout en bout, le vouvoiement dialectise la réalité de cette quête identitaire, il distancie l’objet (difficile à concevoir puis à voir d’emblée) tout en installant le ton de l’introspection. Le « vous » se joue du proche et du lointain, du dehors et du dedans, de soi et de l’autre dans le même temps où il incite le lecteur à entrer dans la danse. Cette voix (cette voie) narrative met en scène un balancement singulier et rare en littérature car au racisme ordinaire dont George Floyd est l’épigone, l’autrice oppose la violence d’une bien-pensance qui agrège la couleur de peau à la soumission. Or être noir, c’est davantage être pauvre ; ce que la narratrice n’est pas.
Au fil du texte, une belle lucidité émerge, lumineuse et complexe, à l’image de cet écrivain exilé qui, lors d’une rencontre à laquelle se rend la narratrice, confie être fatigué d’avoir eu à inventer « une tragédie sur la souffrance d’Haïtien en proie à une nostalgie de la terre quittée », alors que son désir d’écrire jamais ne s’est ancré dans la douleur qu’on lui prête. Dans la couleur qu’on lui prête.
Christine Plantec
Les Idées noires
Laure Gouraige
P.O.L, 157 pages, 17 €
Domaine français Les Idées noires
février 2022 | Le Matricule des Anges n°230
| par
Christine Plantec
Un livre
Les Idées noires
Par
Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°230
, février 2022.