Affronter (Hollande). Chavirer (Lafon). S’adapter (Dupont-Monod). Pas dormir (Darrieussecq). Frappant, cette flopée de titres à l’infinitif ces derniers mois. Michel Houellebecq, en champion, ferme le ban. Anéantir, qui dit mieux ?
Son ouvrage – couverture cartonnée blanche, élégant signet rouge – détonne au rayon livres. L’auteur semble bander les muscles dès la sortie du vestiaire. De la part de celui qui cultivait jusqu’alors un genre de dandysme débraillé, ce soin soudain porté à l’apparence surprend et paraît presque suspect.
Difficile pourtant de critiquer Houellebecq. Si ça se trouve, on a affaire à un grand écrivain. L’homme travaille en tout cas à conforter cette étiquette et mise désormais sur le mystère et la rareté pour accréditer son génie (comme Mylène Farmer). Ainsi, pour la promotion de son nouveau roman, seul un entretien fut concédé à la presse écrite. Jean Birnbaum, patron du Monde des Livres, fut désigné par le maître pour recueillir sa parole. Une rencontre assez riche, au cours de laquelle l’artiste s’est livré sur ses méthodes de travail : « Je dois écrire avant de prendre une douche, en général dès qu’on s’est lavé, c’est foutu, on n’est plus bon à rien. » Le journaliste a jugé le « roman aussi épais qu’exaltant », avec un usage de la langue « tout sauf alambiqué ». On se permettra certaines réserves sur le ratio épaisseur/exaltation, mais vrai pour la dernière remarque. Sur sept cents pages, une simple et unique phrase résiste encore à l’entendement : « La mini-distribution d’événements lourds établit aussitôt entre eux une barrière mentale invisible » (écrire à la revue si explication).
L’intrigue se déroule en 2027. Ça paraît peu sur la frise, mais mesuré en iPhone, c’est vertigineux : « on devait en être à la génération 23 ». Que nous annonce l’horoscope ? Rien de spectaculaire, l’auteur s’est contenté de prolonger les lignes : Macron achève un second mandat et Bruno Juge, son ministre des Finances, semble bien placé pour lui succéder. Michel Drucker a fait ses adieux « à quatre-vingts ans » tandis qu’Hanouna « a explosé en plein vol ». Le futur houellbecquien conserve des accents kitsch : les filles portent des bodys et les garçons boivent du muscadet. Mais bonne nouvelle : rien sur le microbe. À croire que le pic est passé.
Houellebecq conduit son récit à la troisième personne, mais son narrateur, malgré une promotion au grade d’omniscient, a hérité de la mollesse dépressive de ses frères aînés. Il flâne parmi différentes possibilités d’intrigues, tout en s’efforçant de toujours maintenir l’action au seuil du romanesque. Se focalise enfin sur Paul Raison. Ce personnage, que seul le fil de l’habitude semblait encore lier à l’existence, reprend goût à la vie au moment où son père flanche, comme par un effet de vases communicants. Et miracle, il retombe amoureux de sa femme : « Ils ne prenaient toujours pas leurs repas ensemble, mais Paul fut bouleversé, un soir, de découvrir dans le réfrigérateur deux tranches de pâté en croûte que Prudence avait achetées à son intention. » Chez Houellebecq, les frigos débordent d’émotions : « Il se sentait (…) comme un beefsteak abandonné dans le compartiment légumes d’un réfrigérateur bas de gamme, enfin il ne se sentait pas très bien. »
Le livre se clôt sur des remerciements. Totale gratitude envers l’ORL et le dentiste qui ont permis à Paul d’affronter un cancer de la mâchoire crédible, spéciale dédicace au neurologue, etc. Étrange habitude (on imagine un hommage au pharmacien à la fin de Madame Bovary). « Les écrivains français ne devraient pas hésiter à se documenter davantage », conclut l’auteur. Mais si certains dialogues témoignent d’un incontestable travail d’investigation (« À mon avis, leur botnet doit contrôler, au bas mot, cent millions de machines zombies. »), le scénario semble à d’autres moments souffrir d’un défaut de vérification. Ainsi quand les personnages mobilisent un commando d’activistes anti-euthanasie pour libérer leur père de l’Ehpad. Une évasion d’un Ehpad ? Absurde. Personne dans ces établissements n’est retenu de force (mais de faiblesse). On objectera que ce n’est qu’un détail, mais cette aventure improbable, dont les conséquences nourrissent ensuite plusieurs chapitres, crée une gêne. Des passages écrits après la douche ?
Peut-être pas. L’approximation, c’est la touche du maître, son sfumato. Pour exprimer la vérité de son rapport au monde, pas d’autre choix que composer des récits paresseux. Mallarmé ajoutait post-scriptum de l’obscurité à ses sonnets, Houellebecq parfait in fine ses romans à la flemme.
En grande surface Michou mi-chèvre
février 2022 | Le Matricule des Anges n°230
| par
Pierre Mondot
Un livre
Michou mi-chèvre
Par
Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°230
, février 2022.