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Domaine français Chanter le Miserere

mai 2022 | Le Matricule des Anges n°233 | par Jérôme Delclos

Avec le tome III de Joyeux animaux de la misère, le beau retour posthume du rire de Pierre Guyotat.

Depuis une fenêtre. Joyeux animaux de la misère III

Travaillé entre 2016 et 2019, Depuis une fenêtre, bien qu’inachevé, clôt le cycle de Joyaux animaux de la misère, « comédie » ou « œuvre de détente » si l’on en croit Guyotat. Cinq fragments, par endroits commentés et résumés par l’auteur, et édités dans l’ordre chronologique de leur composition. Roland Barthes en 1970 le disait déjà d’Éden, Éden, Éden : « la critique (…) ne peut plus rien sur ce texte : il faut « entrer » dans le langage de Guyotat ». Un demi-siècle plus tard, le conseil vaut toujours. Guyotat, dès 1975 avec Prostitution, nous engageait à lire ainsi son écriture : « Laissez faire, votre bouche se mettra à la parler ». C’est une musique. On s’y laisse aller, on y résiste plus ou moins, on peut avoir besoin de se familiariser avec elle, d’apprivoiser son oreille. Mais peu importe que l’on ignore le solfège : il suffit d’écouter.
Le verbe de Guyotat ne se livre qu’au prix de ce consentement, pour ne pas dire cet abandon. Il faut d’abord renoncer à le tenir pour illisible, de même qu’à notre indignation devant ce qu’il « raconte » qui scandalise et horrifie. Nous sommes alors jetés dans le grand méli-mélo prostitutionnel de Joyeux animaux, à la fois mélodramatique – car ici se montre en effet la misère la plus crasse – et pourtant joyeux et même comique comme le revendiquait Guyotat. Ainsi, dans le fragment éponyme, quand « depuis la fenêtre » où il s’appuie, « Rosario » décrit ce qu’il voit à son maître qui dans son dos le besogne, c’est d’emblée une scène de farce au beau milieu des rats, des déjections, du « bourrier », pourrissant fumier envahi par les mouches qui colonisent le bordel. Son « esclave-putain » se penche-t-il un peu trop au garde-fou pour mieux mater ce qui s’agite en bas, le maître le houspille comme le ferait un personnage de commedia dell’arte : « tu nous avances ton œil que ta chatte me quitte mon vié, chiennasse ! » Guyotat le précisait au sujet d’Histoires de Samora Machel, resté inédit. « Ce n’est pas de l’humour, mais un vrai comique de situations, d’interpellations. »
Le lecteur rit, non sans se demander si ce rire-là, bien gras, bien épais, n’est pas surtout du côté du maître, lequel toujours ordonne à sa chose « remonte-nous tes reins, paresseuse, jusque je t’emmanche toute ! » Mais quand l’esclave, sous l’assaut du « mandrin » de son propriétaire, clame « … a maître, tu m’atteins ma vérité ! », c’est la vérité même de ce théâtre, sa violence absolue, qui nous est révélée : « une « vérité » ! toi non-humaine, non bête, figure, mon bien… ! » La vérité, l’humanité, l’animalité elle-même, la propriété, tous ces mots en « ité », pour être les mots du maître, sont interdits à celui, « putain » quel que soit son genre, qui est destiné à croupir dans un en deçà de la vie et de la langue. Et tout y passe, aucune miette du lexique des dominants n’est laissée aux asservis, comme le note l’auteur dans une marge : « trouver un mot : « parfum de la mère » pour l’humain, « parfums de tous » pour le putain… » Si bien que le fait que Rosario, en somnambule, profère comme un blasphème celui de « vérité », nous signale l’esclave comme enfin mûr pour sa fugue, enfourchant une moto avec son géniteur en croupe et le faisant sous nos yeux quand il le dit, parce que, explique Guyotat au sujet des « figures » de Joyeux animaux… dans un entretien avec Donatien Grau, « Ils font les choses qu’ils disent » : « monte, mon père, monte, putain, que la guerre se rapproche écoute les cris noyés dans le sang ! »
Guyotat, dans Cassette 33 longue durée (à lire dans Vivre), souligne ce que depuis il n’a cessé de marteler : « Le sexe ne m’intéresse pas. Je suis un politique, je traque l’esclave absolu ». Comment ? Par l’ouvrage cent fois remis sur le métier. « Le dernier homme, le dernier esclave, mourra avec ma langue de fou dans sa gorge.  » Au plus noir de sa servitude, que reste-t-il à Rosario ? Son « mowey », guenille en seul bien propre, à ce titre sacrée. Peut-être une métaphore de ce qu’il a dans la tête. « La pensée, ça ne s’achète pas, ça ne se vend pas  », lit-on encore dans Vivre. À méditer, à plus forte raison par gros temps de misère, et notre vérité atteinte. Profond.

Jérôme Delclos

Depuis une fenêtre. Joyeux animaux
de la misère III

Pierre Guyotat
Édition établie par Guillaume Fau, Gérard Nguyen Van Khan et Briec Philippon
Gallimard, 144 pages, 15

Chanter le Miserere Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°233 , mai 2022.
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