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Essais Âmes démultipliées

mai 2022 | Le Matricule des Anges n°233 | par Dominique Aussenac

Dix ans après le décès d’Antonio Tabucchi, Bernard Comment nous offre les derniers entretiens avec son ami. Audacieux et malicieux.

Écrire à l’écoute. Dialogues avec Bernard Comment

Certains auteurs transalpins instillent ce que l’on pourrait nommer une tendresse littéraire par leur présence au monde et les figures qui s’en dégagent, leurs écrits subtils, combatifs, toujours intranquilles, métaphysiques et humains. Ils possèdent une étrange propension à passer le doigt sous le monde réel, la modernité et d’en révéler la fausseté, le mal, la cruauté, l’obscurantisme. Ils évoquent souvent une vraie vie qu’ils ne parviennent à convoquer que dans l’acte d’écrire. Héritiers d’un passé judéo-chrétien, mâtiné de textes antiques, mythologiques, grecs pour la plupart, de foi christique et de références à un vrai communisme libertaire, ils se plaisent à déconstruire la langue, la narration, les vriller, les malaxer pour révéler toute l’ambiguïté qu’elles véhiculent. Parmi les contemporains et c’est réducteur, citons, Calvino, Pasolini, De Luca, Moresco… Sans oublier Antonio Tabucchi (1942-2012) qui, grand voyageur mué en écrivain européen, se déclarait aussi italien que portugais depuis sa découverte à Paris de Bureau de tabac, un des derniers poèmes de Fernando Pessoa qui interroge sur le « qui suis-je ? ». Thème qui fascinera tant Tabucchi qu’il l’associera à cette autre question « qui écrit ? » à travers une vingtaine de courts romans, nouvelles, chroniques. Si le Florentin fut le traducteur de toute l’œuvre de Pessoa, l’écrivain helvétique Bernard Comment traduisit une grande partie des ouvrages de Tabucchi en français, notamment Nocturne indien (1987) et Pereira prétend (1995). Une amitié de vingt-cinq ans s’ensuivit. « Nous savons, avec Antonio Tabucchi, ce que nous avons perdu et qui nous manque tant : le dérèglement des horaires, l’irruption de l’intelligence à toute heure, et le rire, et la colère, son attention aux amis, son intuition de nos tristesses ou de nos moments difficiles, sa générosité, sa drôlerie… Sa mémoire, phénoménale et personnalisée. Et un sens obstiné de la liberté. »
Bernard Comment lui rend hommage avec ces tessons de rencontres : lettres, entretiens retranscrits ou filmés entre 1993 et 2008. Après une superbe et amicale préface, l’écrivain suisse mitraille par fax Tabucchi d’une salve de questions engageant dans des vifs du sujet, des mises en abîmes, l’obscurité de l’acte d’écrire. Par « peur des fausses conclusions et des conclusions en général : parce que la vie me paraît sans conclusion, et que la littérature aussi… » le Luso-Italien esquive par une lettre dans laquelle il pose cette autre question : « quelle relation y a-t-il entre la vie que nous vivons et les livres que nous écrivons ? » Bernard Comment repart à la charge, pour le faire sortir de sa tanière en appâtant : « Il y a le remords, et le temps approprié, le temps en soi, à soi ; il y a le rêve (mais quel rêve ?), la nuit ; l’écriture comme aventure ; peut-être les voyages sur lesquels on n’écrit pas ; et Requiem » Pas dupe, Tabucchi évoque à la fois son amusement et son embarras. « J’ai renoncé à m’auto-analyser, de réfléchir sur moi : et quand je le fais, c’est seulement en écrivant un livre, de telle sorte que le masque que la tradition antique nous impose reste sur le visage. » Il renvoie à Pessoa « un homme trop inquiet, son inquiétude se joint à la mienne et finit par provoquer l’angoisse. » Quant au remords, il le dénude : « Et je pense à ce qui aurait pu être, et ce qui n’a pas été. » L’associant à la saudade, le « jeu à l’envers » portugais : « une nostalgie très complexe, une nostalgie du passé mais aussi une nostalgie du futur… »
Au cours de ce brillant échange épistolaire à l’étonnante réflexivité, on ne sait plus qui parle à qui, de qui. Comme si Comment en s’entretenant avec l’auteur italien, questionnait un miroir renvoyant grâce, inquiétude et ironie tout en se transformant en un des êtres multiples du maestro Tabucchi. S’il est question là de transmutation magique, le reste brûle d’intelligence.

Dominique Aussenac

Écrire à l’écoute. Dialogues avec Bernard Comment
Antonio Tabucchi
Seuil, 192 pages, 18

Âmes démultipliées Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°233 , mai 2022.
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