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En grande surface La question du genre

mai 2022 | Le Matricule des Anges n°233 | par Pierre Mondot

Si j’étais un genre littéraire à moi tout seul, ce serait le pointillisme ! » théorise Bernard Minier dans les colonnes de Paris Match. Non pas en allusion au mouvement pictural, pour définir par exemple une technique narrative usant de la fragmentation et du discontinu, non, seulement pour affirmer qu’il est pointilleux. Précision à l’intention des élites déconnectées : Bernard Minier affiche à la pesée 45 millions d’exemplaires vendus, des romans traduits dans 25 langues et boxe dans la catégorie thriller. Polar, thriller, on se mélange toujours, les deux formes sont proches, et on y sert les mêmes ingrédients. Selon leur dénomination, l’un se concentre sur l’enquête policière quand l’autre n’en retient que ses effets (tension, peur, surprise). Précision à l’intention des masses monoglottes : en anglais, le verbe To thrill signifie frissonner. Et méfiance : lorsque l’auteur vise seulement une réaction physique de la part du lecteur, on n’est pas très loin du porno. Pour que chacun s’horripile, Bernard Minier possède une recette infaillible : baisser la température. Son plus grand succès s’intitule Glacé et dans Lucia, son dernier ouvrage, brrr, ça caille dès l’entame : l’héroïne a « froid jusque dans ses os, jusque dans son sang ». Après quoi, à peu près toutes les dix pages et comme pour garantir l’isothermie du texte, les personnages ressentent « un courant d’air froid sur la nuque » – en général, quand le narrateur s’apprête à faire bouh ! Fatigué d’ailleurs de reprendre toujours la même formule, Minier ose des variations : « Ce fut comme si du liquide de refroidissement pour voitures lui coulait directement dans les veines. » À côté de la chair de poule, l’expression de la frousse, elle aussi répétitive, le contrarie et l’entraîne vers toujours plus de risques : « elle eut l’impression que son cœur se prenait pour Phil Collins à la batterie. » Dans l’entretien accordé à Match, Bernie le dingue revendique ce côté disruptif : « Il faut aussi que la langue vive (…), donc de temps en temps je la violente un peu. »
Dans ses ouvrages précédents, le romancier mettait en scène un personnage de flic récurrent, le commandant Servaz, « divorcé, solitaire, un brin misanthrope » selon le site bernardminier.com. Ici, rien à voir, puisque l’héroïne éponyme est une femme : divorcée, solitaire, la lieutenante Lucia Guerrero a perdu un peu foi en l’humanité après qu’elle a croisé la route de Francisco Melendez, alias le « tueur au marteau ». Une nouvelle scène pénible l’attend : au sommet d’un calvaire, un de ses collègues est retrouvé nu, le dos collé sur la croix, un tournevis fiché dans le corps au niveau du cœur. Heureusement, elle peut compter sur le soutien de Salomon Borges, criminologue à l’université de Salamanque. Il est veuf, etc. Avec l’aide de ses étudiants (Alejandro Lorca, Ulysses Joyce), il a conçu un logiciel, le « Dimas », capable de relier entre elles des affaires criminelles à partir de leur mode opératoire. Miracle de la technique, la machine a repéré deux homicides dans lesquelles les victimes étaient soudées à la glu. Chaque fois, le tueur a mis en scène les corps d’après des peintures de la Renaissance inspirées des Métamorphoses d’Ovide. On pense à un psychopathe mais Alejandro, troisième année de profilage, émet une autre hypothèse : « C’est peut-être un amateur d’art ! » D’une manière générale, les personnages font preuve d’un sens de la déduction supérieur à la moyenne : « Il la regarda ouvrir le placard, attraper une tasse, s’asseoir et mettre deux sucres dans son café. Elle était dure, mais elle aimait la douceur, constata-t-il. »
Mais, s’il y a enquête, dira-t-on, c’est qu’il s’agit d’un polar, il convient de changer le livre d’étagère. Du calme, car l’énigme ne mobilise pas une charge cognitive considérable. D’autant que le travail est mâché, les tueurs ont des gueules patibulaires : « la moitié gauche du visage était entièrement recouverte d’une grande tache de naissance noire qui allait du front au menton ». La seule surprise vient de ce que les suspects se révèlent réellement coupables.
Tous ces méchants ont des excuses. Le serial killer passionné de peinture justifie ses débordements par une blessure intime, conséquence d’une enfance chaotique. Tout petit sa mère l’abandonnait dans les couloirs du Prado, avant qu’un jour, lassé de contempler toujours les mêmes toiles, il ne découvre l’atroce vérité : « J’ai fini par la trouver dans un coin, entre deux gardiens (…) l’enfant que j’étais a senti que quelque chose n’allait pas, que c’était bizarre et dégoûtant ».
On ne frissonne pas beaucoup, mais heureusement, on se poile.

Pierre Mondot

La question du genre Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°233 , mai 2022.
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