Michel Surya, de l'effroi au salut
Roman double et infini, le nouvel opus de Michel Surya fait partie des rares livres que mille lectures ne sauraient épuiser. Dense et exigeant autant dans la pensée qui emporte le lecteur que dans les phrases méandreuses et puissantes qui parfois le submergent, il fonde un genre particulier propre à accueillir toute la littérature qui compte (de Kafka à Lowry) comme la pensée portée au plus tranchant de l’expérience et ce, sans jamais donner de prise ni au divertissement ni aux afféteries de façade. Le genre de livre à partir duquel des centaines d’autres s’écriront. Demain, ou dans un siècle.
Michel Surya, les éditions L’Extrême Contemporain publient un double roman dans lequel on retrouve L’Éternel Retour publié une première fois par Lignes et Léo Scheer en 2006 et Le Monde des amants qui s’y adjoint, reprenant même, à un mot près, le texte des quatre premières pages de L’Éternel Retour. Le Monde des amants est-il né du corps de L’Éternel Retour ?
Né de lui ? Oui. Encore qu’à l’envers, pour peu que je tente moi-même de comprendre. À l’envers, je m’explique : c’est du « retrait » du corps de L’Éternel retour que Le Monde des amants est né. Je peux tenter de le dire mieux : en me retirant de ce corps que je m’étais inventé (un livre peut aussi et longtemps tenir lieu de corps), mais prématurément. Autrement dit, regrettant aussitôt d’y avoir mis un terme et permis (désiré même) sa publication. Parce que j’ai presque tout de suite su que ce livre – L’Éternel Retour – ne pourrait pas s’arrêter là. Parce que j’ai presque tout de suite supposé qu’il arriverait qu’il ne s’arrête pas, peut-être jamais. Parce que c’est le cas de certains livres qu’ils n’appartiennent pas à ceux qui les ont écrits, ou qu’il n’appartienne pas à ceux qui les ont écrits de savoir s’ils les ont écrits assez. Assez, je veux dire au point d’eux-mêmes décider s’ils sont achevés. Mais tout est plus troublant encore. Achever un tel livre ne pouvait pas être donné à qui l’avait écrit dès lors que celui qu’il l’avait écrit s’était mis en tête (manque manifeste de modestie, en tout cas de discrétion) de l’intituler L’Éternel Retour. Un tel titre, pour peu qu’on y croie (et il faut beaucoup croire pour écrire autant de pages), pour peu qu’on croie à ce que Nietzsche a pensé le nommant ainsi, se surimpose à qui a prétendu l’adopter, pire : se l’approprier. L’idée de devenir l’auteur d’un seul livre auquel tout entier s’identifier et identifier tout le temps de son existence, en aura tenté plus d’un – moi à mon tour. Prêtant à celle-ci une unité qu’elle ne pourrait pas avoir autrement – je veux dire : qui ne pourrait pas se voir autrement.
Quel sens cela revêt-il pour vous que les deux textes soient ainsi rassemblés, tête-bêche, en un même livre ?
Ce sens-là, justement, le plus grand sens : d’une unité, qui aura failli être perdue, par ma faute, et n’aura été retrouvée que par mon repentir (au sens où on le dit en peinture). C’est-à-dire,...