La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Fast-food et famille

septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236 | par Anthony Dufraisse

Deux récits alternés dans ce premier roman de Claire Baglin sur l’expérience du désenchantement.

Le fast-food, c’est le 100 mètres de la restauration : en salle ou en cuisine, il faut que ça aille vite, très vite. Côté clients, on dévore, on engouffre, on bâfre et hop, plateau constellé de ketchup débarrassé, on s’éclipse, le ventre tout gonflé d’air. De l’autre côté du comptoir, aux postes de travail, ça carbure aussi, non-stop, à la chaîne ; surtout pas de temps morts, il faut tenir la cadence… Claire Baglin, 24 ans seulement, raconte avec intelligence cet envers du décor dans un premier roman qui fait parler de lui en cette rentrée, et c’est mérité. À la première personne, la narratrice d’une vingtaine d’années donne à voir les coulisses d’un job d’été dans la restauration rapide : l’effervescence de la fourmilière, l’accaparement par les plus capés des postes les moins pénibles, l’arraisonnement des zones (en salle, en cuisines, au drive…) par les managers qui ont le privilège, eux, de ne pas porter toute la journée d’affreuses charlottes et ont la bouche pleine de directives, d’instructions, de remontrances. Il ne serait pas étonnant que ce récit d’une première expérience dans le monde du travail soit autobiographique, tant Claire Baglin y fait preuve de précision. Il y a des choses qui ne s’inventent pas, par exemple quand son personnage occupe le poste dangereux – à cause des projections d’huile, du sel qui attaque la peau – des friteuses : « Une vapeur m’enveloppe à chaque panière plongée. De leurs tables, les clients peuvent observer le processus : je suis au seul poste de cuisine visible depuis la salle. Je range les sachets par taille, petits, moyens, grands, et, à côté de moi, les équipiers préparent les burgers armés de pistolets à sauces, empaquettent, les font glisser jusqu’au tapis roulant central. » Chez tous ces stakhanovistes de la malbouffe, la décérébration est en cours à force de gestes qui se répètent encore et encore : « Je n’espère plus le drive, accaparé par les anciens et ceux qui font des heures supplémentaires, je ne redoute que la salle et le vide qu’elle crée en moi. Aux frites, l’automatisme m’empêche de réfléchir. » Être affecté à la salle, ce « royaume dont personne ne veut », c’est l’assurance pour elle d’être débordée quand il y a affluence, ou d’être surveillée quand c’est calme ; il faut alors, presque grotesquement, tel Charlot à l’usine, surjouer l’affairement, être proactif comme on dit.
Le roman enchaîne donc les mises en situation dans cet univers de néons, tout en mettant en lumière des souvenirs d’enfance et d’adolescence de la jeune femme. Car cette double narration est l’autre facette de ce roman, et ce qui en fait l’originalité. L’alternance de temporalités parallèles – travailler au fast-food, grandir dans une famille de la classe ouvrière – permet à Claire Baglin de jeter des passerelles entre des mondes professionnels qui, par certains côtés, se ressemblent (horaires décalés, abrutissement des tâches répétitives). Mais il faut surtout voir dans cette trame plus intime une forme de pesanteur permanente. Attachante et pathétique à la fois, la figure du père, agent de maintenance sous pression dans une usine, concentre l’attention de la romancière. Bricoleur compulsif, il semble se chercher une raison d’être dans le rafistolage de toutes sortes d’appareils : « Lorsque Jérôme répare, il se blesse toujours avant de réussir, comme si la cassure devait passer de l’objet à son corps pour disparaître. » Les autres membres de la famille paraissent dépendants de ses humeurs. Si le sentiment d’aliénation du corps infuse ces récits croisés et mis bout à bout sous la forme d’instantanés, l’impression d’un décalage psychologique constant entre la narratrice et son environnement, passé ou présent, professionnel ou privé, domine le tout. Et ce désenchantement est sans doute ce qui est le plus touchant dans ce livre qui, par ailleurs, est souvent drôle (mais d’une drôlerie amère, grinçante, lourde d’une colère rentrée). Au camping, dans la Citroën Berlingo familiale ou derrière la caisse du fast-food, la narratrice cherche sa place, et il y a là, dans cette distance avec la réalité vécue, toute l’émotion de ce beau premier roman.

Anthony Dufraisse

En salle
Claire Baglin
Éditions de Minuit, 159 pages, 16

Fast-food et famille Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°236 , septembre 2022.
LMDA PDF n°236
4,00