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Domaine français L’irréparable, à réparer

septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236 | par Jérôme Delclos

Daniel Arsand désosse la boîte noire de sa jeunesse blessée. Une confession lucide et lumineuse, pour apaiser la nuit.

Moi qui ai souri le premier

Un échange de sourires aux airs de coup de foudre dans un lycée d’avant Mai 68, entre Marc, gosse de riche sûr de lui (« Il me surpassait en tout. J’étais béat »), et Daniel, plus jeune de deux années, lui empêtré dans sa puberté, son « embonpoint », sa voix qui mue. « Il me lança un regard souligné par un sourire. Il se peut que ce soit moi qui aie souri le premier. » Le récit d’une belle histoire d’amitié ou de rencontre amoureuse ? Non, celui du viol que subit dans sa jeunesse Daniel Arsand, et qui fit voler en éclat son innocence, sa scolarité de bon élève, et son identité en construction. Le séisme aura sa réplique dans une autre violence, « en réunion » dirait le code pénal, et aggravée par la circonstance de sévices visant à humilier la victime, à la rabaisser à l’état de bête ou de chose, à briser en elle sa dignité, son humanité. « Mon visage, toutefois, même barbouillé d’excréments, demeurait un visage, car au fond de moi, je voulais garder un visage humain. » Et pourtant, confie l’auteur, « Cette merde-là m’habite encore aussi ».
À 72 ans, Arsand lutte avec l’ange dans un récit de soi où chaque page pèse son pesant de questions, de doutes, de nuances pour enfin parvenir à dire – mais dans quels mots ? – ce qui, corps et âme, aurait pu le détruire il y a des lustres, dans « ce que j’appelle le temps jadis » nous dit-il. Et pourtant, le souvenir en est si vif que c’était hier : l’époque de « Marc », « Julien », et « Luc » – trois rencontres, trois occasions de blessures pour le très jeune homme. Qui était Daniel alors, et qu’en reste-t-il, des décennies plus tard ? Ce qui nous abîme et déforme, en quoi étrangement cela nous forme-t-il ? Et que conserver de soi et d’appétit pour la vie, quand tous les commencements ont été salopés ?
C’est une touchante bizarrerie que ce dialogue intime entre le vieil écrivain et l’adolescent qu’il fut. « De quoi exactement t’entretiens-tu avec toi-même ? Qu’est-ce qu’en toi tu ne domestiqueras jamais et qui est tant fait de toi ? » L’auteur entreprend de dompter et apprivoiser cette matière nocturne, « l’incurable adolescence » qu’il ose enfin raviver. Toute proportion gardée, cette brûlante confession rappelle le modèle de toutes chez saint Augustin. Arsand, à l’âge souverain des bilans, ouvre paisiblement la boîte noire de son passé qu’il n’ignore pas être une boîte de Pandore. Taraudantes, les questions qui viennent à l’archéologue de soi-même – « D’une enfance, la mienne, qu’écrire ? », « Tu en es où, de tes fouilles ? » – et incrédule, sa sidération au souvenir du viol : « Qui étais-je donc, ce soir-là ? » Et qui avait « souri le premier » ? Questions de fond, très fines, qui touchent au sens même de l’existence dans le temps, et au mal. Mais quand Augustin ne soliloquait que pour mieux louanger Dieu, Daniel Arsand le fait sous un ciel vide, lequel n’apporte ni consolation ni rédemption, mais la lucidité – « Ce qui est fait est fait » –, la prudence, pour celui qui a connu « la déveine d’avoir aimé », de se prémunir des pièges de la passion (sans renoncer au sexe), et le constat du gain de la solitude : « J’avais le besoin fou d’un espace que moi seul occuperais ». Ce sera, spacieux, celui de l’écriture. « Les mots envahissent le ciel, l’appartement, mon être entier. »
Le livre relate un parcours de reconstruction bâti sur ses seules ressources, « Au fil des années (…) sans l’aide de personne ». Nulle recette ici, juste l’inventaire de choses simples et la sagesse de s’en suffire. « Il y a les amants, les amis, des paysages, les bêtes, des films, des livres, des histoires qui me viennent du dehors et dont je fais mon miel, il y a la page que je rêve d’écrire et celle que j’écris. » Il y aura fallu endurance et patience – « La lenteur est une vertu » – pour se rééquilibrer, se réassurer. Et ne pas trop s’écouter. « La souffrance ne me met que brièvement à genoux. Et je sais me relever. » La leçon d’auto-guérison ouvre sur un émouvant plaidoyer en faveur de la création : « En écrivant, je ne finis pas de grandir (…). Je m’émerveille ». Au bout du compte, « L’aurore, là aussi, se lève ». Quelque chose comme une enfance tardive, limpide.
Du haut de sa petite centaine de pages, un grand livre de la rentrée littéraire.

Jérôme Delclos

Moi qui ai souri le premier
Daniel Arsand
Actes Sud, 108 pages, 15

L’irréparable, à réparer Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°236 , septembre 2022.
LMDA PDF n°236
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