On dit que Clément VIII, imbu de son pouvoir comme tout bon pape, se mit à l’abri des regards derrière une petite fenêtre d’un immeuble du Campo de’ Fiori, et qu’ainsi caché face au bûcher placé en son centre, il regarda mourir Giordano Bruno. C’était à Rome en février 1600. L’Inquisition battait son plein. Galilée se rétracta, pas lui, pas Giordano Bruno, philosophe, poète, scientifique persuadé de la pluralité des mondes, libre penseur comme pas permis et dominicain quand même. Plutôt bel homme à voir sa statue qui trône sur la petite place romaine, mais si peu de gens s’y arrêtent… L’ombre de cet érudit hors norme plane en ange gardien dans le nouveau roman d’Antoine Choplin. Son narrateur, Gaspar, un artiste français en rupture de mondanités, s’installe à une table de café Campo de’ Fiori. Devant lui un échiquier. Il attend qu’un joueur s’y installe, pas d’autre enjeu qu’une partie pour la beauté du geste, pour le plaisir, mais le plaisir a de multiples facettes… Et ce serait encore ignorer les forces du hasard. Car, bien sûr, bientôt, une femme va relever le défi. Elle se nomme Marya. Elle magnétise Gaspar et va chambouler tout son être. Leur coup de foudre va crescendo jusqu’à révéler des forces telluriques. Partie italienne, dixième ouvrage de l’auteur trouble et subjugue en même temps. Dans une Rome comme fantasmée, libérée de sa fureur et de ses touristes, Gaspar parvient à vivre hors du temps, hors du monde. Il se laisse porter par une solitude toute nouvelle, s’interroge sur son art, la vie… avant de flancher pour la belle Marya qui va l’entraîner sur les traces de son grand-père, grand maître aux échecs, disparu en camp de concentration.
Depuis Radeau (La Fosse aux ours, 2003), Antoine Choplin imprime sa marque : une écriture ténue, tendue à l’extrême et pourtant douce, modeste et pourtant puissante, bâtie sur des silences, des non-dits, des peut-être, des si jamais. Comme chez son ami Hubert Mingarelli avec qui il écrivit L’Incendie (2015), ses héros savent se taire mais ne savent pas mentir. Antoine Choplin fait naviguer ses romans entre passé et présent, des stigmates de la Seconde Guerre mondiale ou encore de la catastrophe de Tchernobyl à l’aujourd’hui sous forme d’interrogation : que fait-on de ces événements ? que fait-on de la barbarie ? que fait-on de l’humanité ? Il y mêle aussi, et c’est cela aussi son talent, des histoires d’amour follement pudiques. Pour cette Partie italienne, Choplin fait du Choplin, et c’est bonheur. Mais plus encore : Choplin renouvelle son genre, fait éclater un carcan, celui d’une l’écriture presque trop ténue, trouve un ton badin, un rythme guilleret, une légèreté renouvelée. Antoine Choplin écrit, comme délivré, libéré, une histoire d’amour aux adjectifs superflus. Il se met même au défi de raconter des scènes de sexe pour le moins inattendues. Chaque année, Campo de’Fiori, des esprits libres rendent hommage à Giordano Bruno. Antoine Choplin le fait à sa façon, avec un roman d’amour.
Martine Laval
Partie italienne
Antoine Choplin
Buchet-Chastel, 168 pages, 16,50 €
Domaine français Gaspar, Giordano et Marya
septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236
| par
Martine Laval
Pour son dixième roman, Antoine Choplin écrit une histoire d’amour aussi torride que poétique. Partie italienne comme un voyage hors du temps.
Un livre
Gaspar, Giordano et Marya
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°236
, septembre 2022.