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Domaine étranger Histoires et légendes

septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236 | par Guillaume Contré

Gonçalo M. Tavares se réapproprie brillamment les mythes qui nous constituent pour mieux les mélanger dans des récits qui s’emboîtent sans fin.

Sous la forme d’une mosaïque de fragments qui semblent répondre à une organisation aussi scrupuleuse que mystérieuse, ces Mythologies rassemblent deux livres qui n’en forment qu’un. Tavares y multiplie les histoires potentielles, sans se préoccuper des nombreux trous qui ponctuent son archipel narratif. Des trous qui – c’est là le prodige de son écriture – constituent en réalité l’ossature même du livre ; une sorte d’ossature en creux. C’est le lecteur qui comble les manques, et il n’a pour ce faire qu’à piocher dans le répertoire de mythologies à la fois contemporaines et antédiluviennes qui servent de matériau à l’écrivain, une sorte de fonds commun malléable à l’envi.
Entre sens de l’absurde et inquiétante étrangeté, entre anecdotes macabres et univers de conte de fées, Tavares offre une combinatoire de personnages, de situations, de topiques qui finissent par composer un monde alternatif, comme venu du fond des âges et pourtant permanent, celui d’une humanité incessante, idiote et cruelle : la Révolution, la Vitesse, l’Homme-au-Mauvais-Œil, le Loup-garou, le Dr Charcot, la Femme-Sans-Tête, le Peuple-Déjà-Maudit, les Deux-Tours-de-Babel, etc. Les machines volantes y côtoient des enfants égarés dans la forêt, le souvenir flou de la révolution russe se fond dans les restes trop cuits de la rationalité scientifique de la fin du XIXe siècle, pleine de certitudes et de lobotomies : les fantasmes et les monstres d’aujourd’hui – la technologie toute-puissante, la démocratie brinquebalante – s’incarnent dans des effigies du passé qui nous parlent d’autant plus qu’elles nous constituent. Le tout secoué dans un grand shaker qui fait du grotesque un art, comme si le lecteur se déplaçait dans un retable racontant avec un sens maniaque du détail une sorte d’enfer qui, sous le tapis, attendrait son heure.
La langue de Tavares est au service de ce projet en affectant un ton serein, à mi-chemin d’une neutralité douteuse et d’une naïveté à double-fond. Il feint l’idiotie pour mieux nous attraper dans ses rets. Le lecteur est alors dans une situation semblable à celle d’un des personnages de sa grande machine célibataire : la Femme-Rousse, coincée dans la toile de l’Araignée, qui ne peut plus bouger et se fait lentement dévorer le cerveau par l’Autruche. Comme cet autre personnage encore, qui joue à Colin-Maillard avec un pistolet, le lecteur « est incapable de percevoir l’organisation de l’espace et ignore la position des pièces ».
On rit parfois, bien sûr ; du moins le ferait-on si l’auteur ne tenait pas aussi bien les rênes de son (ses) récit(s). L’invention forcenée est incessante, mais ne bascule jamais dans le délire libérateur. L’excès, chez Tavares, refuse toute jouissance rabelaisienne pour mieux rester sur le fil du cauchemar. La possibilité du merveilleux – pleine d’inventions stupéfiantes et de personnages extravagants – nous est passée sous le nez. Nous sommes de l’autre côté du miroir, où tout n’est plus que déformations.
Dans ce monde de mythologies incarnées, en proie à « une tension invisible, une tension que quasiment personne ne peut percevoir », les trains vont si vite qu’ils rendent fous, et les passagers qui, malgré tout, parviennent au bout du voyage sans encombre se rendent dans des chapelles pour remercier leur bonne étoile. L’Homme-au-Mauvais-Œil aimerait baisser le regard pour ne pas gâcher la vie de ceux qu’il croise, mais n’y parvient pas toujours. « Beaucoup de jambes », lors d’une « grande marche », conçoivent une « théorie générale du cannibalisme ». Un avion fait la promotion d’une grande opération de guérison des fous de la ville menée par le Dr Charcot grâce à sa « Lobotomobile ». Les Hommes-à-la-Tête-près-du-Sol se font abattre froidement par des Combattants dont le seul scrupule est d’être obligé de baisser le bras pour accomplir leur sordide besogne. Un grand musée contient une forêt de machines dont l’utilité est aussi peu claire qu’elle semble menaçante. Dans la Plus-Petite-Église-du-Monde « ne peut y entrer qu’une personne seule, qui fait ce qu’elle à faire à l’intérieur et ressort ». Etc.
Derrière ces inventions peut parfois se deviner la trame cachée des sempiternelles horreurs de l’histoire : « un peuple n’est pas toujours à l’endroit où le reste du monde voudrait qu’il soit, il faut déplacer le Peuple-Entier ». Chez Tavares, les mots étant en soi des valises lourdes de sens, les simples noms de villes comme Moscou ou Berlin suffisent à convoquer cette Histoire chargée tel un aimant. Comme si elle était faite « de la même matière indifférenciée, une matière commune où tout est mêlé ». Et c’est ainsi qu’il nous mène en bateau, d’une mythologie à l’autre.

Guillaume Contré

Mythologies
Gonçalo M. Tavares
Traduit du portugais par Dominique Nédellec
Viviane Hamy, 380 p., 22,90

Histoires et légendes Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°236 , septembre 2022.
LMDA PDF n°236
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