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Domaine français Soliloques majeurs

septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236 | par Richard Blin

Lambert Schlechter se dit fragmentiste et ne peut s’empêcher de mettre des mots sur les riens de la vie. En lettré jouisseur et en amoureux vulnérable.

Le Murmure Du Monde. 40 Ans d’écriture

Danubiennement

Elle ne déclare ni ne chante la voix de Lambert Schlechter, elle murmure. C’est une parole qui ne dit qu’à peine, donne voix au fond muet de la réalité, à l’être-là de ce qui est là, au bruissement des pensées ou aux murmures montant des interstices de la mémoire. Épousant l’inépuisabilité de l’immanence, elle lie amoureusement petites perceptions et réflexions métaphysiques, petites pulsions et grand tout de l’existence, petits riens du jour et grand rien de la mort, autrement dit tout ce qui fait la vie dans sa mouvance et sa prégnance. Pour celui dont le souci, et l’occupation favorite, est d’exister et d’écrire, l’unité de vie c’est le jour, et l’unité d’écriture c’est la page. « Vivre ce jour, écrire cette page. » D’où son art de la parlerie, une façon de parler sans en faire un dire, un art qui prend la forme de petites proses, s’égrène en notes, observations, réflexions que l’auteur réunit, depuis 2006, au fil de volumes qui viennent s’insérer dans une vaste fresque nommée Le Murmure du monde, et dont vient de paraître le dixième volume titré Danubiennement.
Composé de vingt-quatre « proseries » – un terme qui sent la menuiserie et le goût du travail bien fait – qui sont autant de textes relevant de cette catégorie de la petite forme chère à Walser, ce volume relève, comme les précédents, de la poétique du disparate et de l’esthétique de la digression. Fruit d’un art de la glisse sur la page, et d’une étonnante fluidité plastique, chaque texte procède d’un geste à la fois improvisé et calculé aboutissant à une guirlande verbale d’une seule coulée. Il n’y a pas une idée au départ mais des mots qui viennent par pulsions. À partir des choses qui l’entourent, des humbles joies et peines de la vie, d’une date, d’un rêve, d’une perception première qui appelle le souvenir d’une autre perception qui à son tour sollicite la mémoire endormie, s’enclenche un besoin de dire qui engendre un texte sans bord, sans point ni majuscule. Un texte qui obéit à un principe d’association où tout se relaie et se relie. Ce sont des enchaînements et des coqs à l’âne, des « entretressements » et des nouages, une structuration par attraction au sein de laquelle la pensée s’inscrit en actes, par construction de rapports, par invention de relations, par découverte de rapprochements. Et tout ce qui, durant ce temps, survient, la neige qui se met à tomber ou la remémoration de voluptueux embrassements, vient s’imbriquer dans le texte. N’importe quel rien peut être épiphanique. Il y a là une manière de faire se rencontrer des mondes dont on ne soupçonnait pas la parenté, comme celle de l’hippopotame et de la baleine, ou celle qui, d’une note consacrée aux châtaignes, conduit à la posture en levrette telle qu’Utamaro l’a magistralement estampée, en passant par la fin de Magellan mortellement blessé par une flèche empoisonnée.
Cette écriture vagabonde, ce discours labyrinthique qui naît d’une subtile dialectique du voir et du sentir, du lu et du vécu, du souvenir et du désir, et qui relève d’un mouvement qui semble intarissable, qui ne se reconnaît ni but ni vrai sujet – ne serait-ce que parce que les buts se déplacent ou varient au fil du cheminement – on peut en apprécier ou en découvrir toute l’étendue et toute la saveur grâce à la publication d’une somme anthologique rassemblant quarante ans d’écriture, des « proseries », des « poèteries », des nouvelles ainsi que des extraits de cinq ouvrages encore à paraître. S’aventurer dans le dédale de ce Murmure du monde, c’est aller à la rencontre de la vie dans ce qu’elle peut avoir de quotidien, de futile ou d’intime mais aussi de provisoire, de fragmentaire, de dissonant. C’est partager une écriture vouée à l’instant mais avec, en filigrane, et en dépit de la conscience d’avancer vers l’inexorable, l’idée que la vie ne fait que commencer, qu’il faut savoir en profiter. « Mon permanent radotage n’a jamais servi qu’à ça, ressasser concomitamment & dialectement les deux tonalités en majeur et en mineur, celle de l’émerveillement et celle de la morfondure face à l’impermanence ».
Sans pathos ni amertume malgré les épreuves rencontrées – la mort de l’épouse à 38 ans, l’incendie de sa maison avec tous ses livres et tous ses manuscrits –, Schlechter finalement ne parle que de son amour de la vie, depuis le bonheur de pisser au petit matin dans l’herbe face au soleil, jusqu’à l’émerveillement sans cesse renouvelé de la mise à nu du corps féminin, en passant par le plaisir de l’écrire quotidien. Difficile donc de ne pas le lire en frère et en complice.

Richard Blin

Lambert Schlechter
Danubiennement,
L’Arbre à paroles, 128 pages, 14 
Le Murmure du monde, 40 ans d’écriture
Éditions Phi, 656 pages, 39

Soliloques majeurs Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°236 , septembre 2022.
LMDA PDF n°236
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