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Domaine français Plaie vive

septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236 | par Thierry Guichard

Que peut la littérature face aux blessures qui ne cicatrisent pas ? Rien probablement. Sinon, y mettre les mots comme on mettrait les doigts dans une plaie, pour l’apprivoiser.

En 2001, Brigitte Giraud publiait À présent, récit implacable et émouvant de la mort de son mari, Claude, dans un accident de moto à Lyon alors qu’elle rentrait de Paris où elle avait assuré le service de presse de son deuxième livre, Nico. Vingt ans plus tard, la voici obligée de vendre la maison qu’elle avait achetée avec Claude, dans laquelle il n’avait pas pu habiter, se tuant au moment même d’y emménager. Vingt ans de deuil que Vivre vite vient tenter d’expurger. Ce livre-là est beaucoup de choses à la fois. Mais c’est surtout le récit d’une enquête impossible : celle qui cherche à remonter toute la mécanique du hasard qui fit que Claude trouva la mort ce 22 juin 1999. On connaît l’écriture de Brigitte Giraud, cette manière que la romancière a de poser sur la page des mots qui éclaircissent une mémoire, un événement, une vie. Cette façon de lisser par la phrase un réel complexe, noueux, difficile à supporter ou à comprendre jusqu’à voir les détails qui le constituent, jusqu’à maîtriser, sinon ce qui a eu lieu, du moins la perception qu’on en a, enfin. Visiter l’histoire de ceux que la guerre d’Algérie a renvoyés en France, décortiquer l’apprentissage du désir, saisir ce qui a fait la génération née dans les années 60. Jusqu’alors, la littérature avait cette force : éclairer, mettre en perspective, permettre de comprendre. Avec À présent, la littérature répondait à une urgence : dire l’indicible, transformer la douleur en colère, donner une forme au vide.
Vivre vite est aussi le récit d’une obsession : celle qui consisterait à tout savoir de chaque seconde qui a précédé le drame. Jusqu’à lister tous les « si » infimes qui chacun aurait pu détourner la mort de son œuvre. Comme si la maîtrise de ce récit pouvait permettre d’en changer l’issue. Quête vaine, obsession divine puisque tant qu’on peut réécrire la scène, l’accident n’a pas lieu, peut encore être évité, comme si Shéhérazade contant, ce n’était pas sa vie qu’elle sauvait, mais celle de son amour. Brigitte Giraud ne va pas jusque-là, pas tout à fait : elle sait la littérature incapable de maintenir en vie celui qui est mort. Et toute la force du livre réside là, au-delà de l’émotion qu’immanquablement il engendre. Il s’agit peut-être plus de donner vie à l’obsession, de nous en faire témoins, de l’ériger, cette obsession, en un sujet littéraire afin que nommée, décrite, explorée, elle trouve dans le livre sa forme ultime. Il faut attendre les dernières pages pour voir la romancière s’adresser à son aimé, lui parler dans cet espace mental si particulier où les vivants parlent aux morts, sachant qu’ils sont morts, acceptant qu’ils le soient, ne renonçant pas pourtant à partager avec eux la vie qui continue encore.
Vivre vite ne serait qu’émouvant s’il n’y était question que d’une histoire personnelle. Participe de sa beauté aussi, le fait qu’à nouveau ici, Brigitte Giraud parvienne à atteindre l’universel à partir de l’intime. En posant sur la page, comme le ferait un mécanicien d’un moteur, toutes les pièces du drame, elle parvient à faire la radioscopie de sa génération et d’un monde où il était possible de piloter en France une Honda interdite dans son pays d’origine, jugée trop dangereuse au Japon. Un monde où la maison du deuil, rêvée, fantasmée, détestée, apprivoisée, verra les bulldozers la transformer en une route de lotissement. Un monde où les livres gardent intacte la colère, renouent avec le désir et parlent aux morts pour leur assurer une place parmi les vivants. Et de cela, Brigitte Giraud le prouve : la littérature en est capable.

T. G.

Vivre vite
Brigitte Giraud
Flammarion, 205 pages, 20

Plaie vive Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°236 , septembre 2022.
LMDA PDF n°236
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